Dan Boeckner est le seul membre de Wolf Parade qui est revenu vivre à Montréal. Pour la sortie du cinquième album du groupe, nous l’avons rencontré dans son studio du Mile End. Entrevue avec un gars aux opinions tranchées qui aurait pu devenir journaliste politique. De gauche, bien entendu.

Dan Boeckner déteste ce qu’est devenue l’île de Vancouver, où il a grandi. Au lendemain de notre entrevue dans son studio de l’avenue Bernard, il doit néanmoins s’envoler pour aller y rejoindre les deux autres membres de Wolf Parade.

Il ignore alors que (l’ex ?) prince Harry et sa femme, Meghan Markle, sont sur le point d’y élire domicile. Rien pour amenuiser l’amer désenchantement qu’il ressent pour son bled natal.

IMAGE FOURNIE PAR SUB POP

Thin Mind, de Wolf Parade

Les gens qui le suivent sur Twitter le savent : Dan Boeckner tend vers la gauche. Beaucoup.

S’il n’avait pas été musicien, il aurait été professeur ou journaliste à l’international, confie-t-il. Pas surprenant de la part du musicien qui a coécrit la bouillante chanson Radio Kaliningrad.

Nouveau paradigme

Si la politique allume Dan Boeckner, la musique le garde bien occupé. Il est aussi membre des formations Operators et Divine Fits.

Thin Mind, qui sort ce vendredi, est le cinquième album de Wolf Parade. Il s’est bouclé rapidement au studio Risqué Disque, aménagé dans une étable en pierre située au milieu des bois dans l’île de Vancouver. Dan Boeckner, Spencer Krug et Arlen Thompson ont retrouvé la dynamique à trois de leurs débuts, puisque Dante DeCaro a quitté le groupe.

C’était bon de renouer avec cette énergie à trois. Nos rôles sont très définis, donc nous pouvons créer vite sans avoir à nous parler et sans rien prendre personnel.

Dan Boeckner

Thin Mind est la suite logique de l’album Cry Cry Cry, sorti en 2017. John Goodmanson (Sleater-Kinney, Bikini Kill) en signe la réalisation, comme pour l’opus précédent.

« Il y avait un sentiment de catastrophe imminente sur beaucoup de chansons de Cry Cry Cry, expose Dan Boeckner. Comme si un grand changement était sur le point d’arriver avec l’ombre du capitalisme tardif et de l’élection de Donald Trump. »

L’album Thin Mind, lui, décrit ce « nouveau paradigme », indique-t-il.

Trump s’est fait élire en 2016. « C’est fou combien la culture nord-américaine peut s’habituer à tout », se désole Boeckner.

Le retour de Boeckner dans l’île de Vancouver a inspiré beaucoup des chansons dont il signe le texte (Krug et lui se partagent l’écriture et le micro).

« Je déteste être dans l’île de Vancouver, lance même Boeckner. Les gens là-bas se sentent à l’écart des remous politiques et économiques. […] Dans les années 70, il y avait des hippies et une bonne classe moyenne avec de bons emplois. […] C’était une bulle. »

Aujourd’hui, Boeckner n’aime pas le contraste entre cette « belle » bulle et tout ce qui se passe en Amérique du Nord. « Les gens sont déconnectés », dit-il. Des camps d’itinérants sont démantelés à Nanaimo. « Les gens devraient plutôt se demander pourquoi il y a des itinérants. »

Or, c’est dans l’île de Vancouver que ses complices Spencer Krug et Arlen Thompson ont élu domicile.

Source de disputes ? Pas du tout. Plutôt de discussions qui ont nourri l’écriture de Thin Mind. Particulièrement sur la chanson Forest Green, où Boeckner décrit une « vie sereine » sur une terre « volée ».

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« Il n’y a pas un endroit au pays où tu as autant en plein visage le passé colonial du Canada », renchérit-il.

Sinon, le titre de l’album, Thin Mind (traduire « esprit étroit »), est une métaphore de notre capacité d’attention qui diminue de façon inversement proportionnelle aux écrans et réseaux sociaux qui étourdissent nos vies.

Le texte de la chanson Against the Day relate l’histoire de deux vampires dont les âmes demeurent unies au fil des époques. Quant à la musique, elle rappelle le son d’origine de Wolf Parade avec plusieurs couches de claviers.

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Et Montréal ?

Après avoir vécu en Californie, Dan Boeckner est revenu s’installer à Montréal en 2015. Son studio est sur l’avenue Bernard. « Pour l’instant », dit-il.

Il chérit Montréal, mais s’inquiète pour le Mile End. L’amende salée qu’a reçue la boutique Phonopolis en décembre dernier le met hors de lui. La cause de l’infraction : le magasin est resté ouvert après 17 h. Or, c’était le Record Store Day, journée annuelle internationale des disquaires indépendants.

« C’est insensé, s’indigne Boeckner. C’est difficile de croire que les inspecteurs ne sont pas de connivence avec des promoteurs immobiliers. »

Aucun spectacle à Montréal n’est officiellement à l’horaire de Wolf Parade. Mais il y aura une annonce prochainement dans le cadre d’un anniversaire…

La tournée, et l’argent

La tournée de Wolf Parade débute samedi soir à Victoria… dans l’île de Vancouver. Ce sera un défi de passer de trois à quatre musiciens sur scène, souligne Dan Boeckner.

Dans le monde de la musique, on discute de plus en plus des aléas de la vie de tournée qui peut être source de dépression, d’anxiété, d’abus, d’insomnie…

Qu’en pense Dan Boeckner, qui a donné des milliers de spectacles un peu partout dans le monde ? 

Pour moi, c’est simple : j’adore la tournée. C’est pratiquement la dernière chose que les artistes possèdent presque à 100 %. C’est la dernière façon de faire de l’argent.

Dan Boeckner

Selon lui, les services d’écoute en ligne font taire les musiciens plus prolétaires avec leurs maigres redevances. « Le streaming fait en sorte que plus de gens des classes aisées vont former des groupes, car ils ont les moyens de s’en sortir », dit Dan Boeckner.

« C’est plus facile de créer un groupe noise quand tes parents paient le loyer », illustre-t-il.

Chose certaine, Boeckner est reconnaissant d’avoir vécu la période faste de l’indie rock, quand un groupe comme Wolf Parade « pouvait partir de rien et se retrouver sur Pitchfork ». C’était l’époque « pré-réseaux sociaux », « sans cacophonie des voix ».

Dan Boeckner s’ennuie d’une époque, soit, mais son groupe est en meilleur posture que jamais, dit-il.

Avec Thin Mind, Dan Boeckner a l’impression de revenir à ce pour quoi il aime être dans Wolf Parade. « Des gars qui écrivent des tounes ensemble », dit-il simplement.

Pour le plaisir et sans pression. Et toujours à gauche.