(Paris) Violoniste virtuose mondialement reconnu, Ivry Gitlis, décédé jeudi à 98 ans, a joué dans les salles les plus prestigieuses et avec les plus grands orchestres, sans oublier de s’adresser à un public plus large.

Ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO, cet Israélien résidant en France avait une place à part dans le monde musical classique : réputé pour ses interprétations parfois atypiques du répertoire, il était également à l’aise dans le jazz ou la musique tzigane.  

Premier artiste israélien à se produire en URSS (en 1955), fondateur de nombreux festivals (à Vence, Menton, Saint-André-de-Cubzac etc.), il était aussi un ardent défenseur du processus de paix israélo-palestinien.

Cheveux blancs en broussaille et yeux bleus perçants, personnalité charismatique, fantasque et farouche, Ivry Gitlis jouait généralement immobile et les yeux fermés. Son violon : un Stradivarius de 1713 acquis en 1964.

Artiste populaire, volontiers présent à la télévision à la fin du siècle dernier, il fut l’un des invités de prédilection de l’émission culte de Jacques Chancel « Le Grand échiquier ». « Aujourd’hui, il m’arrive de rencontrer des gens qui me remercient d’avoir participé à toutes ces émissions. Je ne l’ai pas fait pour me faire mousser ou pour gagner de l’argent, mais pour le plaisir de partager la musique », disait-il à La Croix en 2010.

Il assurait que « l’émotion » était le moteur de son art, mais ajoutait qu’« au-delà de l’émotion, il était important de transmettre au public un tel héritage de beauté, en ces temps de manipulations idéologiques ».

Scandale lors d’un concours

Il naît le 25 août 1922 à Haïfa en Israël. Son père, qui est meunier, et sa mère ont quitté l’Ukraine pour la Palestine, alors sous mandat britannique. « Quand j’ai eu 5 ans, on s’est cotisé pour m’acheter un violon. Depuis, le violon fait partie de moi-même », a-t-il écrit dans son autobiographie « L’âme et la corde ».

Le violoniste réputé Bronislaw Huberman entend jouer le petit prodige à 9 ans et organise une collecte de fonds pour le faire partir en Europe. Ivry Gitlis entre à 11 ans au Conservatoire National de Musique de Paris et décroche le Premier prix deux ans plus tard.  Il poursuit ses études avec Georges Enesco, Jacques Thibaud et Carl Flesch.

Durant la guerre, il effectue des allers-retours entre Paris et Londres. Il cherche à rejoindre la Royal Air Force, mais, recalé, finit par jouer dans les camps militaires, les hôpitaux ou les usines.

Sa carrière démarre véritablement en 1951, à la faveur d’un scandale lors du concours Long-Thibaud, le jury ne lui décernant que le 5e prix, contre l’avis du public.  

Il fait ses débuts aux États-Unis en 1955. Les tournées dans le monde entier s’enchaînent et il joue avec les plus prestigieuses formations : orchestres Philharmoniques de New York, Berlin, Vienne, Philadelphie, d’Israël etc., sous la direction de chefs comme Zubin Mehta, Charles Dutoit ou Eugène Ormandy.

Rolling Stone et Léo Ferré

Partout où il passe, il sait créer le contact immédiat avec le public qui lui réserve de longues « standing ovations ». Il s’illustre dans Paganini, Sibelius ou Tchaïkovski.  Sa version de la sonate de Bela Bartok reste, avec le « Concerto à la mémoire d’un ange » d’Alban Berg, une référence absolue.  

Il enregistre en sonate avec la pianiste Martha Argerich, est également recherché comme interprète pour les créations de compositeurs contemporains, dont Bruno Maderna et Iannis Xenakis. Il continuait sur le tard à donner des concerts, et depuis les années 80, se rendait souvent au Japon où il était très apprécié.

Décidément éclectique, il a aussi joué avec les Rolling Stones, son copain le chanteur Léo Ferré, le jazzman Stéphane Grapelli et a travaillé pour le cinéma… comme acteur.

On l’a vu dans « L’histoire d’Adèle H » (Truffaut), « La Septième cible » (Claude Pinoteau) ou « Des gens qui s’embrassent » (Danièle Thompson) ainsi que dans une enquête du commissaire Maigret où il joue le rôle d’un clochard… violoniste.

En 2008, Ivry Gitlis a co-fondé l’association « Inspiration (s) » pour rendre la musique classique accessible à tous les publics et donner l’opportunité à des musiciens talentueux de jouer pour ces publics lors de concerts rémunérés.

Ce père de quatre enfants, dont trois avec la comédienne Sabine Glaser, vivait à Paris, où il est décédé.