(Paris) La chanteuse française Anne Sylvestre, aux œuvres féministes souvent restées dans l’ombre du succès de ses contes musicaux pour enfants, est décédée lundi à 86 ans, « des suites d’un AVC », a annoncé mardi à l’AFP Sébastien d’Assigny, son attaché de presse historique.

Connue principalement pour ses « fabulettes » pour enfants — qui lui valent d’avoir laissé son nom à des écoles —, son répertoire est également riche de chansons plus engagées, comme Non, tu n’as pas de nom (1973), sur l’avortement, deux ans avant la loi Veil.

Elle avait une tournée prévue pour jouer son spectacle Nouveaux manèges, notamment quatre dates à Paris en janvier 2021.

Pendant toute sa carrière, elle s’intéressa aux faits de société, notamment à la condition des femmes, revendiquant le terme de chanteuse « féministe », qui fut parfois lourd à porter : « Je suppose que ça m’a freinée dans ma carrière parce que j’étais l’emmerdeuse de service, mais ma foi, si c’était le prix à payer… »

Elle a ainsi défendu la cause du mariage homosexuel dans Gay, marions-nous ! en 2007.

Jamais tout en haut de l’affiche, mais toujours bien présente dans le paysage musical français depuis la fin des années 1950, Anne Sylvestre incarnait une chanson à texte, intelligente, faisant fi des modes, dans le sillage d’un Guy Béart ou d’un Georges Brassens.

Comme eux, Anne-Marie Beugras, née le 20 juin 1934, a débuté dans un cabaret de la rive gauche à Paris. Sous le pseudonyme d’Anne Sylvestre, elle devint l’une des premières femmes à écrire et composer ses chansons.

Cinq chansons « dégagées »

Très connue pour ses chansons pour enfants, qui ont enchanté les plus jeunes sur des générations, Anne Sylvestre savait aussi trousser en quelques mots simples et bien sentis des textes pour adultes et évoquait des sujets de société, souvent en avance sur son époque. Voici cinq de ses chansons.

Mon mari est parti (1961)

Avec Mon mari est parti écrite en pleine guerre d’Algérie, Anne Sylvestre, pacifiste, offre un point de vue féminin et rompt avec la traditionnelle chanson française : « Il y avait des chanteuses, mais elles ne chantaient que des chansons écrites par les hommes. Elles chantaient ce que les hommes avaient envie d’entendre : la putain au grand cœur, la fille qui sentait bon la fleur nouvelle et qu’on retrouvait avec un couteau dans le cœur », décrit-elle dans Le Temps. Tirée de son premier album (Anne Sylvestre chante), elle y conte le désespoir d’une jeune femme qui attend le retour de son mari avant et après la naissance de leur enfant.

Lazare et Cécile (1965)

Cette ballade traditionnelle, à l’imaginaire légendaire, souvent réclamée en concert, part d’un fait divers : un village entier pousse au suicide un jeune couple illégitime. La chanteuse réécrit l’histoire qu’elle juge trop triste, imaginant la fuite des amants sous la bénédiction de la lune. « C’est celle qui amène très souvent les adolescents à mes chansons d’adulte, expliquait-elle dans le quotidien québécois Le Devoir. Ils m’ont connue avec Les Fabulettes et puis rencontrent Lazare et Cécile ».

Non, tu n’as pas de nom (1974)

Chanteuse engagée, tout en refusant cette étiquette comme elle le revendique dans Chanson dégagée (1968), Anne Sylvestre signe de nombreux textes sur des thèmes de société comme le viol (Douce maison, 1978), la misère (Pas difficile, 1986), la guerre (Berceuse de Bagdad, 2003) ou encore le mariage homosexuel (Gay, marions-nous, 2007).

Avec Non, tu n’as pas de nom (1974), écrite un an avant la légalisation de l’avortement en France, elle pousse à la première personne un cri de liberté d’une femme tombée enceinte contre son gré. « Déjà tu me mobilises, je sens que je m’amenuise et d’instinct je te résiste, depuis si longtemps j’existe », plaide-t-elle sur sa guitare.

Les gens qui doutent (1977)

Parue en 1977 dans l’album Comment je m’appelle, Les gens qui doutent rend hommage à ceux qui « passent pour des cons », écrit-elle. Elle veut la dédier aux discrets, à ceux qui rasent les murs et ne sont pas figés dans leurs certitudes. C’est l’un de ses titres les plus populaires. En 2015, il est repris en concert par Vincent Delerm, Jeanne Cherhal et Albin de La Simone.

Merci (1996)

Avec ses « Fabulettes » — comptines enfantines — Anne Sylvestre se fait tantôt pédagogue dans Les chansons pour, tantôt facétieuse dans C’est un veau ou Dans ma fusée, tantôt engagée J’ai une maison pleine de fenêtres (sur les HLM) ou Le bonhomme bleu marine (sur la pollution des plages).

« Bonjour », « Merci », « Maman », « Non », « Pourquoi »… Elle égrène les « mots magiques » entre chansons gaies et tendres qu’elle a toujours refusé de chanter sur scène.