Les vibrations étaient bonnes. La musique était groovy. Le projet de film était super… sur papier. Comment Jimi Hendrix s’est-il retrouvé impliqué dans l’un des pires navets de l’histoire du cinéma ?

On croyait avoir tout entendu. Fait le tour du jardin 40 fois. Grugé la pomme jusqu’au trognon. Mais non. À notre grande surprise, il y a encore des restes de Jimi Hendrix à grignoter.

L’album Live à Maui, qui sort cette semaine, n’est pas un complet inédit. Certains morceaux ont été réédités au fil des ans sur diverses compilations et probablement quelques « bootlegs ».

Mais c’est la première fois que ce concert, enregistré fin juillet 1970, à peine six semaines avant la mort du maître (18 septembre 1970) refait surface intégralement.

Les fans seront ravis, évidemment. Mais en ce qui nous concerne, ce coffret de 2 CD (ou trois vinyles) et un DVD est particulièrement intéressant pour son documentaire Music, Money, Madness, qui raconte la douloureuse histoire du film Rainbow Bridge, dont le destin est intimement lié à ce spectacle unique donné en 1970.

En 1970, Jimi Hendrix est encore au sommet de sa gloire. Pendant qu’il fait construire les studios Electric Lady à New York, le guitariste continue d’enfiler les spectacles.

À l’affût d’un coup d’argent, son imprésario, Michael Jeffery, obtient de la Warner un financement pour la finalisation du prochain album studio de Hendrix, mais aussi pour un long métrage, en échange duquel la compagnie de disque obtiendrait les droits sur la bande-son.

Pour une raison qui demeure mystérieuse, Jeffery s’associe avec le réalisateur Chuck Wein, jeune hippie complètement allumé, connu pour avoir frayé dans l’entourage d’Andy Warhol.

À partir de là, les choses vont se gâter.

PHOTO CHRIS LOPEZ

Eddie Kramer en 2018

Jeffery s’est fait complètement avoir. Il a complètement mordu à l’appât.

Le producteur Eddie Kramer, ingénieur de son à l’époque, et aujourd’hui le restaurateur en chef du patrimoine hendrixien

Difficile de savoir si Chuck Wein est naturellement givré ou si son cerveau est irrémédiablement « flippé » pour cause d’abus de LSD. Toujours est-il que ce beau parleur, pétri d’énergies cosmiques, se révélera bien vite un très mauvais cinéaste. Son film, Rainbow Bridge (c’est le titre), s’avérera être un navet total.

Tourné dans une commune de hippies sur l’île de Maui, à Hawaii, ce très, très long métrage se veut une œuvre de pure contre-culture, profonde et artistiquement ambitieuse, où l’on abordera des thèmes chers à la contre-culture : sexe, drogue, ésotérisme.

Sur papier, formidable.

Le problème, c’est que les comédiens, tous des amateurs ou presque, sont nullissimes. Que la mise en scène est inexistante. Que les longueurs sont insupportables et le montage, atroce.

Amputé de trois heures à sa sortie, en 1972, Rainbow Bridge sera assassiné par la critique et bientôt relégué aux oubliettes.

Du foam et des bobettes

« Jimi ne voulait rien avoir à voir avec ce film. Sans doute avait-il senti que le projet n’était pas très sérieux. Il avait rencontré Wein et tous ces types. Je suppose que son instinct lui a dit de se méfier de ces personnages », se souvient Eddie Kramer.

Pour les besoins du film, le guitariste va quand même donner un concert à Maui, où il se produira en plein après-midi, à l’extérieur, au pied d’un volcan, devant une petite foule de hippies défoncés, émerveillés de se retrouver dans un lieu aussi « vibratoire ».

Dix-sept minutes de cette performance vont apparaître à la fin du film, le sauvant minimalement du désastre. Avec raison. La performance est excellente. Le groupe Band of Gypsys, avec Mitch Mitchell et Billy Cox à la basse, donne une prestation endiablée.

Mais pour des raisons contractuelles, ce n’est pas du tout ce spectacle qu’on entendra dans la trame sonore officielle du film (sortie un an plus tard), laquelle inclura plutôt des chutes de studio datant de la même époque. Pendant des années, le concert dans l’île de Maui demeurera l’un des Graal hendrixiens, jusqu’à ce que l’équipe d’Experience Hendrix, qui gère l’héritage depuis 1995, le réédite dans les règles de l’art.

Pour la petite histoire, un vent terrible soufflait ce jour-là sur la petite scène à découvert, montée en pleine nature.

Ça soufflait à 80 km à l’heure. L’équipe technique avait été obligée de recouvrir les micros avec tout ce qu’elle avait sous la main : des sous-vêtements, des chaussettes, des bouts de foam.

Eddie Kramer

Cela n’a toutefois pas suffi à sauver la piste de batterie, inutilisable à l’arrivée. Mitch Mitchell a donc été obligé de tout réenregistrer par la suite, en studio. Un « sauvetage » qui avait particulièrement impressionné Kramer : « Il a écouté tous les morceaux. Les a regardés sur le film. Il a répété deux, trois fois, puis il a tout refait, complètement in synch. Incroyable. »

Combien d’inédits d’Hendrix encore dans le placard ? Eddie Kramer raccrochera avant qu’on ait le temps de lui poser la question.

Mais l’aura du guitariste, elle, semble toujours intacte. On a appris récemment que son célèbre boa mauve, porté lors du festival de Monterey et sur la pochette du premier album (Are You Experienced ?), allait être mis aux enchères à plus de 26 000 $ CAN.

Même mort, le maître continue de rapporter.

IMAGE FOURNIE PAR SONY

Jimi Hendrix, Live in Maui, Legacy/Sony

Jimi Hendrix, Live in Maui, Legacy/Sony

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