L’ensemble du répertoire du mythique groupe Harmonium a été revisité et orchestré par Simon Leclerc dans une œuvre unique, Histoires sans paroles, album double coréalisé par Serge Fiori, qui sera en vente le 3 décembre. Près de 70 musiciens de l’Orchestre symphonique de Montréal, sous la direction du maestro Leclerc, ont interprété cette trame sonore lumineuse en mai, à la Maison symphonique, malgré la pandémie. Une idée folle du producteur Nicolas Lemieux, qui s’est confié à notre chroniqueur.

Il était presque minuit, le 19 août 2017. Nicolas Lemieux venait de réaliser son rêve un peu fou de réunir au pied du mont Royal trois orchestres, dans le cadre des célébrations du 375e anniversaire de Montréal.

Lemieux, producteur et président du label montréalais GSI Musique, se trouvait seul au bar avec Simon Leclerc, chef d’orchestre, compositeur, orchestrateur et chef associé de la série OSM POP. Le Maestro Leclerc venait de diriger quelque 400 musiciens de l’Orchestre symphonique de Montréal, de l’Orchestre Métropolitain et de l’Orchestre symphonique de McGill, ainsi que des artistes tels que Rufus Wainwright, Wyclef Jean, Marie-Nicole Lemieux, Patrick Watson, Elisapie et Cœur de pirate.

Un concert de l’envergure de ce Montréal symphonique n’avait pas été organisé à la « montagne » depuis la Saint-Jean de 1976. À l’époque, le spectacle OK nous v’là avait conclu sous la pluie trois jours de festivités, en réunissant sur scène la crème des jeunes musiciens du moment : Richard Séguin, Octobre, Contraction, Beau Dommage et Harmonium.

PHOTO ALBERT ZABLIT, FOURNIE PAR GSI MUSIQUE

Serge Fiori, leader d’Harmonium, entouré du producteur Nicolas Lemieux et du maestro Simon Leclerc

« J’étais sur le nuage de cette grande soirée magique et j’ai dit à Simon que ce serait difficile de faire mieux. Il m’a répondu : il va falloir que tu trouves ! », raconte Nicolas Lemieux en riant.

C’est le genre de défi qu’on ne lance pas à la légère à Nicolas Lemieux. Les idées de grandeur sont pour lui les idées les plus stimulantes. « Tout ou rien » semble être l’un de ses traits de personnalité. Aussi, il n’a pas mis longtemps à trouver.

Le projet le plus ambitieux et casse-gueule de ses 25 ans de carrière, dit-il : enregistrer, en version symphonique, l’intégralité de la musique du mythique groupe Harmonium. Du premier album homonyme à L’heptade, en passant par Et si on avait besoin d’une cinquième saison.

Il fallait d’abord convaincre Serge Fiori de l’à-propos de revisiter ses œuvres de jeunesse, créées alors qu’il avait entre 22 et 25 ans. Nicolas Lemieux se doutait que ce ne serait pas une mince tâche. Il avait l’avantage d’avoir produit le plus récent album de Serge Fiori, en 2014. Mais il voulait convaincre Fiori que le projet se fasse… sans sa voix.

Je ne voulais pas que ce soit un copié-collé des albums d’Harmonium avec plus d’orchestrations, dit-il. Je me demandais comment créer un grand poème musical, en rebrassant l’intégrale au grand complet. Je ne voulais pas tricher.

Nicolas Lemieux, producteur et président du label montréalais GSI Musique

« Je ne voulais pas utiliser d’anciennes pistes. Je voulais que ce soit 100 % pur, ajoute-t-il. Alors mon intuition, c’était que la voix de Serge, qui est un instrument en soi, ne devait pas y être. »

À l’été 2018, Lemieux a pris son courage à deux mains et il a osé proposer son idée au leader d’Harmonium. « J’avais peur d’être reçu à coups de 2x4 ! Fiori m’a dit : êtes-vous sûrs ? Êtes-vous sérieux ? », se souvient-il. Oui, ils étaient sérieux.

Simon Leclerc — emballé par ce nouveau projet fou de Lemieux — avait en tête une « approche cinématographique » de l’œuvre d’Harmonium. La trame sonore d’une plongée dans l’univers du groupe. Après cinq mois de travail, Leclerc a proposé des maquettes embryonnaires avec des idées d’orchestrations à Lemieux, qui a été soufflé par ce qu’il a entendu.

« Je savais que je n’aurais pas deux chances avec Fiori s’il n’était pas convaincu à la première écoute, dit le producteur. C’est quelqu’un de très authentique, qui n’hésite pas à dire ce qui ne fait pas son affaire. Je savais qu’il ne me laisserait pas faire n’importe quoi avec l’œuvre de sa vie ! »

Serge Fiori a été séduit à son tour et a donné son feu vert, avec à peine quelques indications mineures. Convaincre Fiori avait été un défi. Ce ne serait pas le dernier. Au début de 2020, alors que Nicolas Lemieux réfléchissait au type d’enregistrement qui serait idéal pour la signature sonore qu’il voulait donner à l’album, est arrivé un pépin. C’est-à-dire qu’une pandémie mondiale a tout stoppé net…

À titre d’idéateur et de directeur artistique, mais aussi de producteur misant gros, Lemieux a décidé contre vents et marées d’aller de l’avant avec son projet. Il a décidé que l’enregistrement aurait lieu à la Maison symphonique de Montréal, même si Madeleine Careau, la chef de la direction de l’OSM, lui a laissé entendre que c’était une folie. « Elle m’avait dit la même chose pour Montréal symphonique ! »

Lemieux a fait appel à certains des meilleurs ingénieurs de son du Québec et des États-Unis, ainsi qu’à des spécialistes en enregistrements orchestraux, afin de transformer la Maison symphonique en gigantesque studio d’enregistrement. « On voulait enregistrer comme à Abbey Road [le studio mythique des Beatles], avec la texture de l’époque et la qualité d’aujourd’hui. Il fallait que ce soit exceptionnel ! »

Il fallait aussi respecter les règles de distanciation physique, même si le projet avait reçu l’aval de la Santé publique. Aussi, la scène de la Maison symphonique a dû être allongée, dit-il, « jusqu’à la rangée G »…

Pendant 21 jours, en septembre dernier, une imposante équipe technique s’est attelée à la tâche de projet hors du commun. Des choristes, des solistes et 68 musiciens, sous la direction du maestro Leclerc, se sont retrouvés sur scène pour la première fois depuis le début de la pandémie. Serge Fiori a assisté à tous les enregistrements, sur quatre jours, en plus de coréaliser l’album avec Simon Leclerc.

Un coup de circuit !

« Je savais que m’attaquer à ça était énorme, dit Lemieux, qui n’ose préciser combien la production a coûté [quelques centaines de milliers de dollars]. Je touchais à quelque chose de sacré, à la fierté québécoise. Ce serait catastrophique ou formidable ! J’aurais pu frapper un mur ! »

À mon avis, il a plutôt frappé un coup de circuit. Plus de 140 minutes de musiques évocatrices, dont les mélodies et les thèmes récurrents — les pièces varient entre 2 et 15 minutes — s’absorbent comme des doses à la fois puissantes et réconfortantes de dopamine nostalgique.

S’il y a un répertoire de musique populaire québécois qui valait la peine d’être revisité en version symphonique, c’est bien celui d’Harmonium. Les riches orchestrations de Simon Leclerc, tout en restant fidèles aux chansons originales, en accentuent toutes les subtilités. Le tourbillon de cordes de L’appel/Le premier ciel/Sur une corde raide, les vents envoûtants de Vert, les cuivres triomphants d’Un musicien parmi tant d’autres, l’irrésistible crescendo de Depuis l’automne. Les musiques d’un film que l’on connaît par cœur, mais que l’on découvre sous un angle inédit.

J’ai été pris d’une soudaine et vive émotion en redécouvrant, ainsi arrangée, la trame sonore de mon enfance. Les albums d’Harmonium, les préférés de mon père, jouaient en boucle à la maison. « Chaque fois que je l’écoute, je suis bouleversé. Si mon papa était encore vivant, j’aimerais tellement l’écouter avec lui », me dit Nicolas Lemieux, visiblement ému.

Cette musique qui transcende les générations, souligne-t-il avec raison, est liée à l’histoire, à la fois intime et collective, du Québec. Sa relecture symphonique a été enregistrée à un moment bien particulier. La fébrilité des musiciens de l’OSM, leur volonté de rendre justice à cette grande musique populaire, se ressent dans l’enregistrement. Je ne saurais dire précisément comment, mais j’en suis convaincu.

Trois ans après son idéation, le projet fou d’Harmonium symphonique verra le jour. L’album double Histoires sans paroles sera offert le 3 décembre, exclusivement sur le site www.harmoniumsymphonique.com, en version numérique, en coffrets de deux CD ou de quatre disques vinyles, accompagnés d’un livret.

Il est désormais possible d’écouter un premier extrait (Harmonium) et de précommander l’album sur le site. D’autres extraits seront présentés tout au long de l’émission de Paul Arcand, Puisqu’il faut se lever, ce vendredi matin.

Il ne sera pas possible, en revanche, d’acheter Histoires sans paroles en magasin, ni de l’écouter en pièces détachées sur une plateforme en continu. Ce ne serait pas respectueux de l’œuvre, croit Nicolas Lemieux. « L’époque consomme vite et jette vite. Ce projet, c’est tout le contraire », estime le producteur, qui trouve du reste qu’il serait irresponsable de provoquer en ce moment une ruée chez les disquaires.

On le sent sincère lorsqu’il se dit privilégié d’avoir pu mener à terme ce projet « grandiose » (un mot qu’il répétera souvent en entrevue). « J’aurais pu attendre un an avant de le sortir, dit-il. Mais je trouvais important que ça se fasse maintenant, dans le contexte de la pandémie. Je souhaite que ça fasse du bien aux gens. C’est un album qui inspire la sérénité, la communion, la paix. » Des mots qui ne sont pas trop dans l’air du temps. Et qui font du bien.

Consultez le site Harmonium symphonique