On pense souvent au rappeur Shreez lorsque l’on entend parler de son complice Tizzo… et vice versa. L’un vient rarement sans l’autre, et c’est ensemble qu’ils ont fait leur marque, mais c’est en solo que Shreez a fait paraître son nouvel album, On frap, vendredi. De son propre aveu, il propose un disque qui ne s’adresse plus « à la rue », mais plutôt à un public plus large.

Shreez est un acteur important de la scène hip-hop québécoise depuis quelques années. Tout comme son partenaire de toujours, Tizzo. Le duo montréalais travaille conjointement depuis près de 10 ans et a fait paraître plusieurs chansons et mixtapes (51tr4p Fr4p50, Fouette Jean-Baptiste, Fouette St-Patrick).

Tizzo, Shreez et le rappeur Soft ont d’ailleurs remporté le Prix de la chanson SOCAN l’an dernier pour la pièce On fouette. Une porte grande ouverte vers une reconnaissance plus large.

Mais si son nom ne vous dit rien, sachez que vous n’êtes pas seul. Shreez lui-même sait que le grand public commence à peine à le découvrir. Il sait aussi très bien que, « dans la rue », il a fait sa marque.

La « rue », c’est l’underground, ce que la jeune génération écoute, mais qu’on n’entend pas à radio et dont on ne parle pas souvent dans les médias. La « rue », il l’a déjà conquise. « On a déjà gagné ça, ils nous écoutent déjà, lance Shreez. On a déjà fait plein de mixtapes pour eux. »

Alors, sans tourner le dos à la rue, le rappeur de 26 ans a décidé de s’adresser « aux autres ». Le prix de la SOCAN « a beaucoup aidé » côté visibilité, et Shreez compte bien tirer profit de cette occasion. « Je ne fais plus de la musique pour la rue », dit-il.

Concrètement, pour élargir ses horizons, Shreez a changé son approche musicale. « Pour les paroles, j’essaie d’être moins cru. Même pour le mixing, on est allés chercher des gens qui sont plus dans l’industrie. J’essaie de faire ça pour que tout le monde puisse l’“enjoy” », affirme-t-il, ajoutant en riant qu’il y a quand même « deux ou trois chansons » un peu plus brutes et moins accessibles dans son offre.

Drill québécois

Le rap dont il veut que tout le monde puisse profiter vient s’ancrer dans le mouvement drill, dérivation du trap que Shreez apprécie notamment pour « les beats de drums ».

Pour moi, tu peux faire n’importe quel flow là-dessus. J’aime la façon dont les drums sont placés. Quand tu entends du drill, tu sais tout de suite que c’est ça.

Shreez

Ce style, né aux États-Unis, puis propagé jusqu’en Angleterre et un peu partout où le rap s’écoute, a le potentiel de fonctionner à la sauce québécoise, croit Shreez. En tout cas, il fait le pari d’en faire sa marque sur On frap, paru sur l’étiquette Canicule, qu’il a lancée avec les membres de son collectif (qui collaborent tous sur l’album).

On frap, d’ailleurs, reflète la musique qu’il écoute. Ce faisant, il s’éloigne quelque peu de ce qu’il signe lorsqu’il collabore avec Tizzo. « Cet album, c’est plus moi, dit-il. Ça me représente encore mieux. »

S’il a grandi avec 50 Cent, Usher, R. Kelly, Lil Wayne et Gucci Mane, il dit écouter beaucoup Tory Lanez et Pop Smoke (le défunt rappeur new-yorkais est l’un de ceux qui ont popularisé le drill) en ce moment.

Derrière les productions d’On frap, plusieurs nouveaux noms du hip-hop local : DiceFly, Alain, Alex Da Gr8, RKT Beat. Un certain Ruffsound, beatmaker attitré de Loud, est derrière la pièce Plankton, premier extrait de l’album, que Shreez a lancée en septembre. La chanson est une référence au personnage diabolique de l’émission Bob l’éponge, dont le seul but est de « trouver la recette secrète » que détient le gentil Bob. « Pour moi, la recette qu’on a trouvée, c’est celle de la bonne musique », explique Shreez.

On fouette, on frap…

Quant aux mots « on frap », ils sont comme les synonymes des « on fouette » introduits par Tizzo. Des termes à la base négatifs (notamment des références à la drogue) qu’ils souhaitent se réapproprier pour parler de réussite. « Ça veut dire le travail, le hard work, dit Shreez. Quand tu fais du 9 à 5, que tu ne restes pas sur ton cul, tu fouettes. On frap, c’est la même signification. »

Shreez est de ceux qui travaillent fort (il « frap », donc). Depuis qu’il a trouvé la musique, depuis que c’est devenu sa façon de gagner sa vie, il s’y donne à fond.

Celui qui a grandi dans les quartiers de Laval pensait suivre les traces de ses parents et faire carrière en informatique. Pas nécessairement par vocation, plus pour « faire quelque chose ». Mais quand il a commencé à traîner dans le studio de ses amis et à les imiter en enregistrant ses raps lui aussi, il y a vite pris goût. Rien de sérieux, juste « pour [s’]amuser », dit-il. Vers 18 ans, il a rencontré Tizzo, au studio Street Knowledge. Il s’est mis à rapper en français. Et quand ils ont écrit On fouette, pour le frère de Tizzo mort peu de temps avant, la chanson a décollé. « Je n’avais aucune envie de mettre ma face sur un projet et de faire de la musique au début, dit Shreez. Si je n’avais pas connu Tizzo, je n’aurais jamais continué. »

Mais le succès s’est imposé sur la scène underground et n’a fait que grimper depuis. « La musique a été une sortie de secours, affirme-t-il. Dans la rue, il n’y a pas beaucoup d’options [par rapport à] comment tu peux finir. Il y a la prison ou sinon, les rares qui make it. C’est sûr que c’est un chemin plus sûr, mais je n’aurais jamais pensé me rendre là. Je le faisais pour passer le temps. »

Le passe-temps est devenu vocation. Le sens du rythme lui vient de tout le temps qu’il a passé à écouter ses idoles et à observer ses amis en studio. Quand il compose ses vers, « c’est comme si ce n’était pas [lui] qui écrivai[t] », dit-il. Dès qu’il entend une production qui l’interpelle, les phrases se forment dans sa tête.

Ça vient tout seul, c’est mon subconscient. Des fois, je sors des mots et je ne sais même pas s’ils existent. Et je les “google”, et ça veut dire exactement ce que je pensais.

Shreez

Bref, s’il n’avait jamais pensé faire de la musique pour gagner sa vie, quelque chose l’y a mené, et il semble que ce soit exactement sa place.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON DE DISQUES

Pochette de l’album On frap, de Shreez

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