Mardi, mercredi et jeudi, Kent Nagano devait diriger ses ultimes concerts en tant que directeur musical de l’OSM. La Symphonie no 2, dite Résurrection, de Gustav Mahler, était au programme. C’est avec cette même œuvre qu’il avait clôturé sa toute première saison avec la formation montréalaise en 2006-2007. Mais pandémie oblige, le chef ne pourra pas dire au revoir au public montréalais comme il l’aurait souhaité.

De son appartement parisien, alors que le confinement se fait moins strict, celui qui assure la direction musicale de l’OSM depuis 14 saisons m’a parlé de cette fin difficile. Il l’a fait avec la sensibilité légendaire qui l’a toujours caractérisé. Avec beaucoup d’émotion, il a évoqué les musiciens qu’il a côtoyés pendant toutes ces années et le public montréalais avec lequel il vit une grande histoire d’amour.

« C’est sûr que c’est décevant de ne pas pouvoir faire ce dernier concert. Des membres de ma famille devaient venir, car tout comme moi, ils adorent le Québec. J’aurais aimé vivre une sorte de rituel d’adieu avec mes collègues musiciens. Mais en même temps, ces musiciens sont ma famille, Montréal est ma famille. Et une famille reste dans le cœur, pour toujours. Le public et la culture québécoise vont toujours rester en moi. Ce ne sont donc pas des adieux. Ce n’est même pas un au revoir. »

Plusieurs fois au cours de la conversation, Kent Nagano est revenu sur les sentiments qu’il ressent à l’égard de l’équipe de l’OSM et du public montréalais. « L’ouverture d’esprit des Québécois est quelque chose qui m’a marqué et enrichi. Quand on découvre la culture québécoise, on en apprend plus sur la vérité, sur l’authenticité. C’est vraiment unique. Je ne vais jamais oublier cela. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Kent Nagano

Sous Kent Nagano, l’OSM a accompli de grandes choses. Il a poursuivi son ascension vers l’excellence. Il a fait des gestes audacieux qui l’ont davantage conjugué avec son époque. Souvent perçu à tort comme un chef froid et distant, Kent Nagano n’a pas hésité à créer des événements qui ont rapproché l’OSM du « grand public » et fait abattre les cloisons de l’élitisme.

En compagnie de Nagano, l’OSM a joué au Centre Bell, à Montréal-Nord (à la suite des émeutes d’août 2008), à Lac-Mégantic (après le drame de juillet 2013), à la Maison Tanguay (en 2013) et dans d’autres lieux qui n’ont rien à voir avec une salle de concert.

J’ai demandé à Kent Nagano de me parler d’un événement en particulier qui lui a procuré une grande émotion. « Oh là là, c’est très difficile. Il y en a trop. Si j’en nomme un, ça ne sera pas respectueux pour les autres que je ne nommerai pas. Ce que je veux toutefois dire, c’est qu’on a fait tout cela ensemble en tentant de mélanger tout le monde. On ne voulait pas de barrières sociales, raciales ou culturelles. On ne voulait pas de frontières entre les générations. Mon objectif, et celui des musiciens, était de créer des événements qui reflétaient ce que l’on voit dans les rues de Montréal. »

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Kent Nagano et l’OSM lors d’un concert extérieur de la Virée classique, en 2019

Puis, au fil de la discussion, il a fini par évoquer quelques « highlights » de ses années avec l’OSM. Il pense au tout premier concert qu’il a dirigé avec les musiciens, en 1999, avant qu’il ne soit nommé directeur musical, la 9e de Mahler. Puis, le premier concert de musique de chambre et, évidemment, le titanesque projet de la Maison symphonique inaugurée par l’OSM en septembre 2011. « Il faut rappeler que cela s’est fait durant l’une des plus importantes crises financières. »

Il y a aussi eu l’intégrale des symphonies de Beethoven, les nombreux concerts extérieurs, le festival Schubert de la présente saison ainsi que les nombreuses tournées en Asie, en Amérique et en Europe, dont celle de 2019 que j’ai eu le bonheur de couvrir partiellement. Quant aux concerts-événements et aux créations québécoises, on ne les compte plus.

Par hasard, sa fille Karin se trouvait chez ses parents lorsqu’une période de confinement a été décrétée à Paris. Cela a permis aux trois membres de la famille (Kent Nagano est marié à la pianiste Mari Kodama) de vivre des moments uniques et précieux. « Pour la première fois de notre vie, nous avons eu de véritables vacances. On a eu du temps de famille de grande qualité. On a partagé tous les repas ensemble, on a pu discuter de choses profondes. Prendre le temps d’être ensemble et ne pas être toujours dans le rush, ce fut un vrai cadeau. »

Le chef d’orchestre reconnaît toutefois que les derniers mois ont parfois été difficiles. « Il y a une mélancolie ambiante. Toutes ces personnes qui sont mortes nous rendent tristes. J’ai moi-même perdu un proche. C’est très dur. Malgré cela, les gens autour de moi tentent de trouver du positivisme. Réfléchir à des programmes musicaux me permet d’être ‟out of the box”. »

Il est difficile pour un chef d’orchestre comme Kent Nagano, habitué à aller régulièrement dans les plus grandes villes du monde, d’imaginer à quoi vont ressembler les prochains mois. Ses activités de directeur musical à l’Opéra et de chef principal à la Philarmonique de Hambourg sont encadrées par les règles sanitaires de l’Allemagne.

« Tout est fluide en ce moment. On songe à des formules avec de petits ensembles où les spectateurs seraient éloignés les uns des autres. » Face à cet agenda flou, il sait toutefois qu’il va diriger dans quelques jours un concert en « formule confinement » produit par Radio France qui sera diffusé en direct sur France Musique et ARTE Concert.

On devrait connaître le nom de celui ou celle qui va succéder à Kent Nagano dans quelques mois à la tête de l’OSM. Avant de le quitter, je lui ai demandé s’il avait une chose à dire à cette personne. « Je lui dirais d’avoir entièrement en confiance en l’OSM. Ces musiciens représentent l’élite. Ils sont plus que talentueux. C’est l’un des meilleurs orchestres au monde. Et je lui dirais tout simplement : ‟Enjoy Québec !” »

Kent Nagano et l’OSM en 10 dates

• 2 mars 2004 : Kent Nagano est nommé directeur musical désigné de l’OSM.


• 6 septembre 2006 : Premier concert en tant que directeur musical.

• 20 février 2008 : Création des Glorieux, de François Dompierre, en hommage au Canadien de Montréal.

• 10 au 19 avril 2008 : Tournée en Asie 11 au 15 septembre.

• 2008 : Tournée au Nunavik 4 au 13 mai.

• 2010 : Intégrale des symphonies de Beethoven.

• 7, 8, 10 septembre 2011 : Inauguration de la Maison symphonique.

• 11 au 25 mars 2013 : Tournée en Europe.

• 10 au 22 octobre 2014 : Tournée en Asie.

• 11 au 25 mars 2019 : Tournée en Europe.