Dans une polyvalente de Québec, j’ai eu un professeur passionné de musique baroque française qui jouait de la viole de gambe, l’instrument préféré de Louis XIV à l’heure du coucher.

L’équivalent, en sport, serait peut-être d’avoir un professeur d’éducation physique joueur et fin connaisseur de cricket ou de polo ; une belle anomalie.

L’instrument est rare et évoque un univers niché, mais si vous tombez sous son charme, vous vivrez de grands moments. Pour moi, il est demeuré le lieu de la confidence musicale.

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La viole de gambe est une cousine du violoncelle, avec six ou sept cordes au lieu de quatre, au son plus voilé mais infiniment expressif. Mélisande Corriveau jouait du second avant de s’éprendre de la première à la fin de l’adolescence, séduite par l’ambiance et les personnages du film Tous les matins du monde.

En plein confinement vient de paraître Marin Marais : Badinages, un disque d’une beauté et d’une perfection rares, entièrement consacré à la musique de Marin Marais, le compositeur incarné tour à tour par Gérard Depardieu et son regretté fils Guillaume dans le film d’Alain Corneau.

Mélisande Corriveau et son conjoint, le claveciniste new-yorkais Eric Milnes, jouent la musique de Marais avec une maîtrise des moindres détails, et surtout, une musicalité d’un naturel fou. Plus d’un demi-million d’écoutes en streaming en date d’hier : la viole de gambe n’a pas dit son dernier mot !

Mélisande, au bout du fil, me raconte que c’est précisément cette musique française, tour à tour mélancolique, poétique, brillante et dramatique, qui lui a fait préférer la viole, comme soliste. Elle me parle de ses deux marraines musicales : Margaret Little et Susie Napper, pionnières de la viole à Montréal, qui ont créé l’ensemble Les Voix humaines peu de temps après la sortie du film de Corneau. « Elles ont été extraordinaires : je suis tombée enceinte à 18 ans et toutes les deux m’ont soutenue, encouragée à continuer, m’ont convaincue que j’y arriverais. » Mélisande y est plus qu’arrivée : elle joue toujours avec Les Voix humaines, se rend presque chaque mois en Europe, où elle tourne avec l’ensemble Masques, en plus d’avoir fondé L’Harmonie des saisons avec son conjoint en Estrie où ils habitent. Leurs concerts de grandes œuvres sacrées, à l’Abbaye de St-Benoit-du-Lac, font salle comble.

Ou plutôt, faisaient salle comble, car Mélisande, comme tous les musiciens, a vu son univers s’effondrer avec la pandémie, sans savoir quand et comment il se reconstruira.

De petits contrats, concerts virtuels ou vidéos de promotion, la Prestation canadienne d’urgence (PCU) pour l’instant, et beaucoup de temps pour perfectionner son jeu, à la viole et au violoncelle : « On n’a jamais fini d’apprendre, c’est une évolution constante. »

La production du compositeur Marin Marais en est un bel exemple. « Les pièces que j’ai enregistrées sont du quatrième de ses cinq recueils, dit Mélisande Corriveau. Plus il avance, plus il améliore son système de notation : c’est d’une précision hallucinante. »

« Les doigtés, les ornements, les coups d’archet, sur quelle note enfler le son ou ajouter du vibrato, tout est noté : c’est de la musique sublime avec, en plus, un enseignement complet », ajoute-t-elle.

Le Stradivarius de la viole

Mélisande Corriveau joue une viole de gambe de 1691, signée Barak Norman, un Anglais dont les instruments étaient recherchés par les meilleurs musiciens français de l’époque. Un avocat de Toronto, ancien contrebassiste, a acquis l’instrument qu’elle avait repéré, et le lui prête à long terme. « Il reste très peu de ces violes, mais comme il y a beaucoup moins de demande que pour les violons, le prix est une fraction de celui des Stradivarius », précise Mélisande.

C’est un archetier québécois réputé, Louis Bégin, qui a fabriqué l’archet de Mélisande. Il est beaucoup plus courbé que celui du violoncelle, et ses crins sont moins tendus : « Le but, à la viole, est toujours la détente générale. Plus on arrive à libérer les vibrations, plus l’instrument résonne. C’est un peu le contraire au violoncelle, qui requiert qu’on ajoute plus d’énergie avec l’archet pour le faire sonner davantage. »

La musicienne utilise cependant le majeur de sa main droite pour appuyer sur les crins et augmenter la tension quand une attaque doit être plus vive ou que des notes rapides doivent rebondir.

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J’ose un rêve : assister à un concert post-confinement donné par Mélisande et son conjoint, Eric, dans une chapelle à l’acoustique généreuse, 50 personnes pas trop tassées. Programme court, donné deux fois dans la journée, pour que plus de gens les entendent. Une des formules auxquelles le milieu musical réfléchit en ce moment…

Vous y serez ?

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