(Vienne) L’année 2020 devait être consacrée au 250e anniversaire de la naissance de Beethoven. Mais à cause du nouveau coronavirus, plus aucune note ne retentit à Vienne, l’une des capitales mondiales de la musique, et c’est tout un secteur économique qui craint pour son avenir.

« D’ordinaire, l’Opéra national de Vienne est une fourmilière où s’activent 1000 personnes », explique avec émotion à l’AFP son directeur Dominique Meyer. « Désormais, le lieu est silencieux et c’est émotionnellement très éprouvant ».

En temps normal, on écoute, on joue et on chante comme on respire à Vienne. Les festivals s’enchaînent et dans cette ville à l’atmosphère imprégnée des passages de Mozart, il y a toujours un orchestre à admirer, une opérette à écouter.

Mais pour les grandes institutions musicales, la saison s’est interrompue brutalement il y a un mois, avec les premières mesures de confinement pour lutter contre la pandémie qui ont entraîné la fermeture des salles de spectacle.

D’habitude, « Vienne propose un agenda culturel comparable à celui d’une métropole de 5 millions d’habitants alors qu’elle en compte 1,8 million », détaille le directeur de l’Office du tourisme Norbert Kettner.

« C’est ce qui attire les trois quarts des 8 millions de visiteurs annuels », assure-t-il.

Trois opéras, deux salles de concert : habituellement se pressent chaque soir 10 000 personnes sous les dorures de ces temples de la musique, toujours pleins à craquer. Il faut attendre... quatorze ans avant d’espérer décrocher un abonnement à l’Orchestre Philharmonique de Vienne !

« Poumon économique »

Pour la ville des valses insouciantes composées par la dynastie musicienne des Strauss, l’arrêt de la machine culturelle laisse augurer d’une catastrophe financière sans précédent depuis 1945.

« L’Opéra de Vienne réalise habituellement 131 000 euros (200 000 $) de recettes quotidiennes avec la billetterie », affirme Dominique Meyer. « C’est un poumon économique vital qui remplit six ou sept hôtels et les restaurants des alentours après les représentations ».

L’inactivité devient la règle et les premiers touchés sont les artistes eux-mêmes, dont l’ancienne ville impériale est un vivier. « Je devais jouer Arabella en mai, aller à Toronto, à Istanbul, à Paris », témoigne auprès de l’AFP le ténor Michael Schade.

« Je ne chanterai pas Schubert, trente concerts sont annulés », renchérit le baryton Florian Boesch. « Les maisons invoquent la clause de force majeure. On ne reçoit aucun dédommagement ».

Selon l’agent de chanteurs lyriques et de chefs d’orchestre Laurent Delage, « les contrats ont été rendus caducs, la plupart du temps sans aucune proposition d’indemnité », et parfois de manière abrupte.

« Un microsystème s’effondre »

Reporter des productions lyriques se révèle impossible. Elles sont programmées des années à l’avance. Les décors montés, les costumes dessinés ne serviront à rien.

« Quand un projet tombe à l’eau, c’est tout un microsystème qui s’effondre », regrette le metteur en scène d’opéra Benjamin Prins.

« Techniciens, éclairagistes, chanteurs : ils ont donné six mois de leur vie pour les répétitions, mais sont cloués à la maison sans un centime puisque, généralement, la paye ne tombe qu’au soir de la première », énonce-t-il.

En l’absence de systèmes d’assurance chômage, le gouvernement autrichien a mis en place des mécanismes de soutien. Ils permettent à chaque artiste d’obtenir 1000 ou 2000 euros (1500 $ ou 3000 $) par mois pendant 16 semaines.

Pour la suite, ce secteur très internationalisé va rester dépendant des décisions sur l’ouverture des frontières, prises à ce stade sans concertation, au niveau national.

Même si l’Autriche a prévu d’assouplir progressivement le confinement à partir de mardi, aucune date de reprise de la vie culturelle n’est annoncée : tout rassemblement peut relancer l’épidémie.

Dimanche, selon les chiffres officiels, la COVID-19 avait tué 337 personnes dans le pays.

« Je commence à me dire qu’il n’y aura pas de spectacles avant le mois de septembre », avance Norbert Kettner, pour lequel « la culture est dans l’ADN des gens, on ne peut pas s’en passer ».

D’ailleurs, même sans représentations, « on continue de chanter », confie Florian Boesch. « Il n’y a jamais eu autant de musique en ligne, on ne peut pas nous faire taire ».