Avec ses deux nouvelles octobasses, l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) compte maintenant trois de ces immenses instruments à cordes de 3,5 mètres de hauteur capables de produire les sons les plus graves de la musique classique.

Il y a près de quatre ans, l’OSM pouvait s’enorgueillir d’être le seul orchestre mondial avec une octobasse, cet immense instrument à trois cordes (la, mi, si). Eh bien, l’orchestre montréalais en compte maintenant trois !

Les mastodontes ont été inaugurés le 18 février dernier pour l’interprétation de la pièce Les Troyens, de Berlioz.

Dans ses traités d’orchestrations, le compositeur français du XIXsiècle y exprimait le souhait d’avoir « trois ou quatre » octobasses dans toutes ses œuvres, nous dit Eric Chappell, contrebassiste de l’OSM, qui a appris à jouer par lui-même de cet instrument.

« On réalise en quelque sorte le vœu de Berlioz », nous dit Eric Chappell, qui a formé récemment deux autres musiciens à l’octobasse – le violoncelliste Sylvain Murray et le contrebassiste Brandyn Lewis. « Je suis vraiment content d’avoir de nouveaux amis », nous dit le musicien, membre de l’OSM depuis 20 ans.

Il faut dire qu’Eric Chappell n’est pas habitué à toute l’attention qu’il a depuis qu’il joue de l’octobasse. « Vous savez, quand on choisit de jouer la contrebasse, c’est souvent parce qu’on sait qu’on va être assis derrière, fait-il remarquer sourire en coin. On ne choisit pas cet instrument pour être une vedette… Donc, je suis heureux de ne plus avoir tous les regards braqués sur moi. »

Quand Eric Chappell dit être le seul à jouer de cet instrument, ce n’est pas juste une façon de parler. En 2016, il y avait deux joueurs d’octobasse dans le monde : lui et le musicien italien Nicola Moneta. « Il n’y a que trois ou quatre autres octobasses dans le monde, ce qui fait que l’OSM a la moitié de ces instruments. »

Des instruments très rares

C’est le luthier français Jean-Jacques Pagès qui a construit les trois octobasses acquises par les mécènes Roger et Huguette Dubois (du groupe Canimex), qui en ont fait le prêt à l’OSM. « Je préfère ne pas savoir combien elles valent », nous dit le musicien montréalais.

Le premier instrument est une copie d’un instrument original construit par Jean-Baptiste Vuillaume en 1849 et conservé au Musée instrumental de Paris. Les cordes de l’octobasse sont « pincées » grâce à un mécanisme de leviers et de pédales. Debout sur un escabeau intégré à l’instrument, Eric Chappell tient l’archet dans une main et active leviers et pédales de l’autre pour changer de notes.

Pour faire une gamme, on alterne entre les leviers et les pédales. Quand j’active un levier, je peux préparer ma prochaine note avec la pédale, donc il y avait une logique à ce système.

Eric Chappell

Pour la petite histoire, il y a une dizaine d’années, le maestro Kent Nagano s’était adressé à un petit groupe de musiciens en leur disant qu’il avait envie de jouer du Berlioz.

Eric Chappell lui aurait alors lancé : « Il va falloir une octobasse ! » Nagano lui a demandé de quoi il s’agissait. « Il était très intéressé par cette histoire d’octobasse, on le voyait dans ses yeux, se rappelle-t-il. L’idée a fait son chemin, et c’est lui qui a entrepris l’acquisition de l’instrument. »

Les deux nouvelles octobasses ont également été fabriquées par Jean-Jacques Pagès, mais le mécanisme a été modernisé et les cordes sont en boyau nu, offrant un son plus riche que les cordes métalliques traditionnelles.

Au lieu du système de leviers et de pédales, le luthier de Mirecourt a opté pour un clavier numérique qui actionne 21 doigts métalliques. Un changement qui facilite le jeu des musiciens. « C’est sûr que c’est beaucoup plus simple pour nous », nous dit Eric Chappell, qui a quand même un certain attachement au premier instrument qu’il a baptisé « The Big Beauty ».

Eric Chappell n’a pas pour autant abandonné sa contrebasse. « Sur les 46 semaines de travail, il y en a peut-être quatre ou cinq où je joue de l’octobasse, précise-t-il. Et encore, dans un même concert, je ne joue pas de l’octobasse pendant toute la durée d’un concert. C’est plus le temps d’une pièce ou deux. »

Des notes spéciales

Les pièces de Berlioz ne sont pas les seules qui se prêtent bien à ces instruments qui sont une quinte plus basse que la contrebasse. Le musicien énumère une foule de compositeurs qui ont intégré des basses dans leurs partitions. Mahler, Brahms, Strauss, Tchaïkovski, Wagner.

« On peut accorder l’instrument pour obtenir des notes encore plus graves, mais alors la note la plus grave est en dessous de ce que l’oreille humaine peut entendre. »

« On fait ressortir des notes que les compositeurs ont déjà écrites, poursuit Eric Chappell, ce n’est pas qu’on écrit de nouvelles partitions. C’est très efficace dans les symphonies, les œuvres sacrées, les requiem. À trois octobasses, on peut jouer un peu moins fort aussi, donc c’est un ajout intéressant, qui donne de la profondeur à l’orchestre. »

Les deux nouveaux instruments se démontent en trois pièces – le manche, le corps de l’instrument et l’escabeau intégré. Un autre avantage lorsque l’OSM voudra trimballer ses octobasses en tournée. Ce que l’orchestre montréalais a bien l’intention de faire. « Ça fait partie de l’imagerie de l’OSM maintenant ! » dit le musicien.