Elles ont marqué une décennie, qui s’étale plus ou moins de 1987 à 1997. Elles ont accumulé les hits, chanté leurs chansons et celles des autres, gagné des prix, foulé toutes les scènes. Marie Carmen, Marie Denise Pelletier et Joe Bocan se réunissent pour une tournée commune intitulée Pour une histoire d’un soir. Discussion animée et vivifiante avec trois chanteuses qui n’ont plus rien à prouver.

La Presse : La tournée est déjà commencée. Ça se passe bien ?

Marie Carmen : Je ne voulais pas faire d’entrevues pour parler de la tournée, le seul compromis c’était aujourd’hui. Non seulement c’est pertinent de se rencontrer toutes les trois, mais en plus, on est plus riches d’avoir quelques spectacles dans le corps.

Marie Denise Pelletier : On peut sentir que ça s’est bien passé !

La Presse : En tout cas, il n’y a pas encore de chicane !

MDP : Il n’y en aura pas !

MC : S’il y avait eu à en avoir, ce serait déjà fait. En même temps, pourquoi il y en aurait eu ? La rencontre entre des femmes, dans quelque milieu que ce soit, il faut arrêter de dire qu’on se tire les cheveux. On a tellement une belle sororité.

La Presse : C’est une vieille complicité, vous trois ?

MC : Ce sont des retrouvailles et des trouvailles. Oui, avec Marie Denise on a fait Starmania, mais en même temps, c’est rempli de découvertes.

MDP : Il y a quand même 30 ans qui sont passés.

MC : Oui. Et aussi le fait qu’on est au bon moment au bon endroit à faire la bonne chose. Avec une ouverture, à être dans l’écoute et le partage. On a cette énergie, on est des femmes de 60 ans qui sont restées des enfants qui s’émerveillent.

MDP : On a la passion de ce métier qui est intacte, et on s’aime beaucoup. Et c’est venu naturellement. On s’est rencontrées pour la première fois il y a plus d’un an pour ce spectacle…

Joe Bocan : … pour rêver ce show…

MDP : … et dès le départ on a été trois petites gamines excitées de se trouver. On est dans la continuité de cette première rencontre, et cet enthousiasme, on le transpose dans le show. Les gens le sentent.

La Presse : Vous n’avez pas hésité à vous lancer ?

JB : Non ! Dès le premier téléphone, j’ai dit oui. Quand le producteur m’a nommé Marie et Marie Denise, j’ai fait « han, oh, oui », alors que je dis toujours non au début.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marie Carmen

J’ai été contactée plusieurs fois dans les 10 dernières années pour des projets au parfum nostalgique, et j’ai dit non à tout. Mais celui-là, pour moi, il est pertinent. Il coule de source. Je savais déjà qu’on serait trois femmes professionnelles, qui ont de l’aplomb, qui sont passionnées, talentueuses, et qui s’inspirent de l’admiration.

Marie Carmen

JB : On trippe vraiment. Ça paraît-tu ?

La Presse : Plus que ce que vous attendiez ?

JB : Je n’avais pas d’attentes, j’avais surtout hâte. On ne savait pas ce que donnerait la rencontre de nos voix, de nos personnalités. Et tu vois, cette semaine, j’avais hâte de revoir les filles, c’était trop long !

La Presse : Vous avez des spectacles prévus jusqu’en mai 2021. Vous faites quatre soirs à Montréal à guichets fermés à la Cinquième Salle, et une supplémentaire au Théâtre Maisonneuve. L’aviez-vous vu venir ?

MC : On l’espérait !

MDP : On a toutes les trois la mâchoire à terre.

MC : Mais emmenez-en, des shows, on est bien, on est là !

La Presse : Comment expliquez-vous cet engouement ?

MDP : Je ne peux pas l’expliquer. Il y a un buzz autour de notre réunion, ça, c’est clair. C’est certainement beaucoup une question de timing.

La Presse : Vous représentez aussi quand même une époque, non ?

JB : Oui, les gens avaient envie de nous revoir.

MDP : C’est comme le fit parfait. Mais oui, on est marquées au fer rouge d’une décennie.

MC : Il y a aussi un engouement pour des projets collectifs. Le public a tellement le choix maintenant ! Alors quand il se fait proposer un trois pour un, avec en plus la nostalgie… 

MDP : Ces chansons ont bien traversé les décennies. Par exemple, Joe avait mis la table avec Repartir à zéro… Parler d’environnement dans les années 80, ce n’était pas très sexy ! Moi aussi, j’avais Réinventer la Terre.

MC : Et moi, je chantais Possédés ! [Rires]

MDP : Les chansons de Marie, c’est l’universalité : Entre l’ombre et la lumière, ça fonctionne encore aujourd’hui. Tous les cris les SOS aussi !

Entre l'ombre et la lumière, de Marie Carmen :

La Presse : C’est vous trois, mais c’est aussi un répertoire.

JB : Oui, ce sont des chansons qui nous ont portées et qui nous ont fait connaître.

MDP : Et c’est grâce à ces chansons qu’on est là aujourd’hui !

La Presse : Il y a une chanson que vous préférez l’une de l’autre ?

MDP : On s’est chicanées, moi pis Marie, pour savoir qui chanterait une toune de Joe. On a réglé le problème, on va la chanter toutes les deux ! Mais essentiellement, on chante notre propre répertoire, sauf pour quelques numéros.

MC : C’est important de dire aussi que toutes les trois, nous avons écrit beaucoup de nos chansons. Ça ne se faisait pas trop à l’époque, et c’est quelque chose dont on est très fières. Et là, pour le spectacle, la merveilleuse Joe nous a fait le cadeau d’une chanson originale qu’on chante toutes les trois, qui est vraiment inspirée…

MDP : … de notre belle histoire.

JB : J’ai fait le texte, c’est France Bernard qui a fait la musique. Je dis que c’est notre chanson à nous trois parce que c’est vraiment elles qui m’ont inspiré ça.

La Presse : Pour revenir au fait que vous avez écrit vos chansons…

MDP : À l’époque, honnêtement, les filles, c’était des interprètes, et les gars, des auteurs-compositeurs. On écrivait nos textes, mais on ne les revendiquait pas.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Joe Bocan

J’ai été en nomination comme auteur-compositeur-interprète, mais c’est toujours les gars qui gagnaient.

Joe Bocan

MDP : Francine Raymond, ils ont été bien obligés de lui donner, six des titres de son album avaient été numéros un ! Il y a des chansons de Marie Carmen qui sont devenues des classiques de la SOCAN… Mais c’est vrai qu’on ne le revendiquait pas tant que ça. Aujourd’hui, je me dis qu’il faut que le monde le sache.

MC : Dans tous les Félix que j’ai gagnés, il y en a un qui m’a touchée beaucoup, c’est celui du spectacle auteur-compositeur-interprète pour Miel et venin. Ça donnait du poids.

La Presse : Mais ce qui est resté dans l’Histoire, c’est que vous êtes des interprètes.

Les trois : On est des interprètes !

MC : C’est surtout qu’on est fières de le rappeler aux gens, et de nous le rappeler à nous-mêmes. Se taper dans le dos, se dire que ça aussi nous a liées. On devrait faire le compte de combien de chansons nous avons écrites ! Je ne le sais même pas moi-même, mais ça approche du tiers de tout ce que j’ai chanté. J’ai aussi écrit pour d’autres.

MDP : Moi aussi, c’est le tiers.

MC : On devrait le dire. Cette fierté, c’est pas de la frime, et on l’a fait à une époque, dans un monde d’hommes…

JB : C’est encore comme ça aujourd’hui, on ne se fera pas d’accroirs…

MDP : Il y a plus de filles aujourd’hui.

JB : Oui, et elles revendiquent plus.

Repartir à zéro, de Joe Bocan :

La Presse : Est-ce que le milieu de la musique est plus dur pour les femmes qui vieillissent que les hommes ?

MC : Pas juste dans la chanson, partout !

MDP : D’un autre côté, le monde arrête pas de dire qu’on est belles, qu’on a la soixantaine heureuse, lumineuse…

JB : On nous a toujours habitués à la femme jeune. Moi, je suis contente de montrer que, christie, on est encore belles. Il y a quelques années, j’ai passé une audition pour jouer une femme de 58 ans. Le réalisateur me dit : « C’est super, mais tu as l’air trop jeune. » J’ai dit : « Mais j’ai 58 ans ! » Eh bien, ils ont pris une femme de 70 ans pour jouer le rôle… 

MC : Quand on a fait En direct de l’univers l’autre jour, sur la page Facebook de l’émission, quelqu’un a écrit « Pftt, Marie Carmen, Botox ! » Mais jamais ! Mange donc à la place ! Tu as juste à manger et c’est réglé ! [Rires]

MDP : Je dois dire que ça garde jeune de chanter. Il faut être en forme, respirer. Je travaille beaucoup mon cardio, je fais du ski de fond, de la raquette…

MC : Moi aussi, moi aussi ! [Rires]

MDP : On doit être en forme pour être sur scène et voyager, mais ça nous garde aussi terriblement présentes et allumées.

MC : Je regarde comment j’ai vécu ma cinquantaine. Je me suis dit : « Ça y est, ma jeunesse a foutu le camp. » J’ai boudé pendant de longues années. Vers la fin de ma cinquantaine, j’ai fait non, tu vas entrer dans une nouvelle décennie et tu vas t’organiser pour te préparer. Eh bien, je ne savais pas que je serais aussi heureuse d’avoir 60 ans.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marie Denise Pelletier

On a semé des choses, là on récolte. J’ai 59 ans et je ne me suis jamais sentie aussi bien.

Marie Denise Pelletier

JB et MC : C’est notre bébé !

MDP : Je suis top shape. J’ai investi dans ma santé, dans celle de ma tête aussi. J’ai fait un cheminement personnel, je fais de la méditation… J’adore avoir 60 ans ! Là, je me dis que je vais arrêter de vieillir et que je vais avoir 60 ans jusqu’à 100 ans. Mais Joe, elle, pas besoin de lui poser la question, elle a l’air de 45 !

MC : C’est scandaleux ! [Rires] Quand tu es rendue à 60 ans, tu réalises que le temps a passé, que tu as vécu des épreuves, et que le temps est précieux. Tu es dans l’instant plutôt que d’anticiper.

La Presse : Quand vous repensez à vos carrières à l’époque, ce sont de beaux souvenirs ?

Tous les cris les SOS, de Marie Denise Pelletier :

JB : Je dirais que c’était très paradoxal. (Rires) Il y avait le bonheur de me retrouver sur scène, mais je suis arrivée là sans expérience et, un an plus tard, je faisais le Spectrum… C’était difficile de recevoir tout cet amour, alors que j’étais seule dans la vie.

MC : Il fallait faire la part des choses sur ce qu’est l’amour, ne pas se valider selon l’amour du public parce que nous ne sommes pas que ça. Je suis allée le découvrir en quittant tout, en allant ailleurs pour voir si j’y étais. J’ai fait un gros travail, et je reviens plus riche de ça.

JB : Ce qui est formidable, c’est qu’il n’y a plus ce côté-là maintenant quand on arrive sur scène. Là, on est trois femmes bien dans notre peau, heureuses, entourées, aimées, on a su bien bâtir notre vie. À l’époque, je me sentais tellement vulnérable.

MDP : On est plus conscientes de nos forces et faiblesses. À 25-30 ans, tu ne te connais pas. Je suis déjà montée sur scène en me disant : « Mais qui aimez-vous comme ça ? » Quand tu ne te connais pas et que le monde t’aime, ça crée une certaine dichotomie.

La Presse : Ce n’est certainement pas votre genre, mais quels seraient vos conseils pour de jeunes artistes qui commencent ?

MC : Vis ta vie.

MDP : Suivre son chemin. Et avoir de la passion un peu.

JB : Le faire pour les bonnes raisons, qu’il y ait une volonté derrière cette passion.

MDP : Foncer… et n’écouter personne ! [Rires]