Matt Holubowski dédie son nouvel album, Weird Ones, à toutes les personnes qui assument ce qu’elles sont. Le travail qu’il a fait sur lui-même lui a permis de livrer un troisième disque beaucoup plus lumineux que le précédent. Rencontre avec un artiste heureux.

Son premier album, lancé en 2014 sous le pseudonyme Ogen, s’intitulait Old Man. Mais à 31 ans, Matt Holubowski se sent plus jeune et plus en phase avec lui-même aujourd’hui qu’il y a six ans. « Ça me fait penser à la chanson de Dylan, “But I was so much older then, I’m younger than that now”… », chantonne-t-il.

« Vraiment, ça, j’adore », dit en souriant l’auteur-compositeur-interprète originaire de Hudson, qui nous accueille chaleureusement dans son studio du Mile End.

Matt Holubowski a toujours été fasciné par les personnages flamboyants « qui extériorisent bien leur différence », comme Dylan justement, ou David Bowie. Même si être bizarre reste relatif – on est toujours le bizarre de quelqu’un –, il a fini par accepter qu’il n’était pas particulièrement « weird ».

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Matt Holubowski, dans son studio du Mile End

« Quand j’essayais de l’extérioriser, ça n’avait pas l’air authentique. C’est pour ça, le titre de l’album : oui, c’est un hommage aux gens étranges, mais c’est surtout l’éloge d’être qui tu veux être. Que tu le montres de façon plus ou moins conformiste, fais ce que tu veux là où tu te sens bien. »

Signature

Matt Holubowski en a fait, du chemin, depuis la sortie du très mélancolique Solitudes en 2016, album dont le succès fulgurant a été suivi d’une longue tournée qui l’a complètement vidé. « J’avais complètement perdu le fil de qui j’étais », dit le chanteur. Il a appris à lâcher prise et à choisir ses batailles, et a compris, après beaucoup d’angoisse, qu’il était capable d’écrire des chansons même s’il n’était pas malheureux.

J’ai puisé dans des endroits où je n’avais pas envie d’aller dans ma tête, c’était vraiment pas l’fun. Le résultat est que j’en suis ressorti plus fort, courageux et optimiste, et j’ai envie de partager cet optimisme.

Matt Holubowski

« Quand tu écris des chansons tristes et que tu n’es plus triste, qu’est-ce qui arrive ? », demande Matt Holubowski, qui ne veut pas trop raconter les détails de ce qui le tourmentait, mais qui affirme qu’il n’avait plus le choix de faire face.

« J’étais rendu à un point où je ne pouvais plus l’ignorer. » Ça se répercute dans les paroles, qui ne sont pas venues spontanément comme d’habitude, et dans lesquelles il parle d’ailleurs d’amour pour la première fois. Mais aussi dans sa signature musicale, qu’il a voulue plus proche de sa génération.

Écoutez un extrait d’Around Here

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« Je me suis toujours senti à part. Sitôt qu’on a une guitare acoustique dans les mains, les gens s’attendent à une idée assez spécifique du folk. Et moi aussi, j’avais toujours eu ce désir de rester dans la pureté du folk. Mais ça a pris une autre tournure depuis quelques années. Ça peut être plus dans la marge, on utilise moins le banjo et l’ukulélé, mettons. »

Donc, on peut faire du folk et être complètement contemporain, a conclu le musicien après mûre réflexion. « J’ai eu cette discussion avec Aliocha. Tous les deux, on est dans le monde du folk, mais on écoute plein d’autres choses, du James Blake, du Kendrick Lamar, et on se posait la question : si, à l’époque, Bob Dylan avait eu accès à des bass synth, est-ce qu’il les aurait utilisées ? Probablement. »

Boîte à outils

Le musicien s’est donc permis une « plus grande boîte à outils ». Il a ajouté des synthétiseurs, joué avec les tempos, peaufiné jusqu’à l’obsession le moindre détail – « Mais pas sur toutes les chansons, certaines peuvent vivre seules alors que d’autres non, ça dépend de l’intention » –, s’est inspiré de Murakami (Two Paper Moons), a inventé des mots (Mellifluousflowers), a créé un rythme de « hand banging subaquatique » (Thoroughfare) autant qu’une simple ballade (Love, the Impossible Ghost).

Écoutez un extrait de Two Paper Moons

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Bref, il a grandement élargi sa palette, entouré de la même équipe de musiciens que sur Solitudes – « C’est mon nom qui est en avant, mais on est vraiment un band depuis le jour 1 » –, et surtout aux côtés de son réalisateur et ami Connor Seigel.

« On est chanceux, tous les deux, on a été vraiment le premier collaborateur de l’autre. Et je n’ai pas encore rencontré une autre personne qui se donne corps et âme pour la musique comme lui », dit-il à propos du réalisateur, qui a depuis travaillé avec Elliot Maginot et les Sœurs Boulay, entre autres.

Ferait-il de la musique sans lui ? « Je ne sais pas. Il est vraiment le premier qui m’a encouragé. À l’époque, on voyait deux lignes directrices pour faire de la bonne musique : être le plus authentique et le plus intemporel possible. On voulait s’inspirer de ce qui se passe sans que ça nous affecte trop. »

Écoutez un extrait de Thoroughfare

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C’est la même chose qui les guide aujourd’hui. « On a eu la même conversation que quand on a fait Old Man. Je ne sais pas si tu l’as remarqué, mais je parle beaucoup… (rires) Et lui aussi ! Il est toujours partant pour discuter, philosopher sur les tounes à plus finir… »

Donner et recevoir

Si Matt Holubowski est heureux, il est maintenant conscient que la tristesse peut revenir à tout moment, et surtout que « ce va-et-vient des émotions » est normal. Et s’il se porte aussi bien aujourd’hui, c’est beaucoup grâce aux voyages qui lui ont permis de faire le vide et de se ressourcer après sa tournée, il y a plus d’un an.

Le chanteur s’est ainsi posé deux mois à Cracovie, puis deux autres mois à Banff. Il est allé dans des cafés et au musée, a écouté des albums, regardé des films et lu des livres, question d’oublier Matt et de reprendre contact avec Matthieu.

Je n’ai pas besoin de voyager pour écrire, mais j’ai besoin de voyager pour vivre. Et vivre mène à des chansons.

Matt Holubowski

La tournée aussi, c’est la vie, ajoute-t-il, « sinon ce serait bizarre que je passe les trois quarts de mon existence dans une réalité parallèle… Mais en tournée, tu donnes tout le temps. Tu donnes, tu donnes, les gens te répondent avec leur appréciation, mais pour recevoir plus en profondeur, c’est différent. Alors tu finis avec rien à dire, parce que personne ne t’a rien donné. »

Un an plus tard, il est prêt à repartir sur la route, même s’il est « terrifié ». « Mais je me suis préparé physiquement et psychologiquement. » Le chanteur fera de nouveau le tour du Québec, mais il reprend aussi sa conquête des États-Unis et de l’Europe, où il connaît un beau succès d’estime, et vise davantage. Ambitieux ? « Il le faut, c’est pas l’fun, la vie, sinon ! »

Pour son album, il souhaite non pas une vie éternelle – « l’éternité enlève toute signification aux choses » –, mais une existence remplie de beaux moments. « Et quand sa vie va expirer, j’en ferai un autre, qui aura une belle vie aussi. »

Matt Holubowski sera en spectacle au MTelus le 4 mars

IMAGE FOURNIE PAR AUDIOGRAM

Weird Ones, de Matt Holubowski

Indie folk. Weird Ones. Matt Holubowski. Audiogram.