La pianiste et compositrice Alexandra Stréliski a livré sa musique pleine de douceur jeudi au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts devant une salle comble et conquise d’avance. Nous avons assisté à son spectacle générateur de grandes émotions, mais nous l’avons aussi suivie en coulisses pendant la journée.

L’arrivée

Il est 15 h 30 et Alexandra Stréliski vient d’arriver dans sa loge du Théâtre Maisonneuve, où elle s’est déjà produite en juillet 2019. « Ce matin, je me suis rendu compte que j’étais quand même nerveuse », confie la musicienne avant d’entrer dans la salle pour faire ses tests de son. Depuis huit mois, il s’en est passé des choses : le plein de Félix à l’ADISQ, dont celui de compositeur ou compositrice de l’année, trois nominations aux Juno, et beaucoup, beaucoup de concerts. « En ce moment, c’est trois spectacles par semaine. Alors on a une routine, une routine de gang aussi. Franck fait son soundcheck et il met toujours la même toune. Régina installe les tulles. Gaspard fait le mapping des éclairages. Pendant ce temps, en arrière, j’accroche mon linge. C’est à la fois assez pareil et assez lousse. »

La préparation

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Pas question de se présenter sur scène avec un piano pas à son goût. Alexandra Stréliski s’occupe des derniers ajustements de son instrument avec un technicien.

Le test de son est un peu plus ardu que d’habitude – « Des fois, ça nous prend juste 15 minutes ! » –, mais la pianiste est concentrée et sait ce qu’elle veut. Dès que ce sera terminé, vers 17 h, elle ira se reposer un peu. Manger ? Pas question. « J’ai un historique d’être malade avant les spectacles. Tellement que quand j’ai commencé, je me suis dit : ça va être comme ça, je vais être malade tout le temps, il faut que j’accepte ça. Heureusement que c’est passé, ça n’a plus rien à voir maintenant. C’était juste du trac, de l’anxiété. » Pas question de se présenter sur scène avec un piano pas à son goût, par contre. Elle retournera sur la scène un peu plus tard pour faire les derniers ajustements de son instrument avec un technicien.

À la maison

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Alexandra Stréliski est montée sur des scènes partout au Québec et en Europe depuis un an, ce qui lui donne assurance et expérience.

Alexandra Stréliski est montée sur des scènes partout au Québec et en Europe depuis un an, ce qui lui donne assurance et expérience. « En Europe, les publics sont différents, les langues, les salles… Ça garde groundée. Mais ça fait du bien de revenir à la maison, par contre, devant des gens qui me connaissent. » Elle ressent cependant un peu plus de nervosité qu’en juillet au même endroit. « En juillet, j’étais dans une vague, portée par un nouveau souffle. Je me disais : je fais ça dans la vie maintenant, des shows, go. Là, je suis plus installée, et je me demande si les gens ont plus d’attentes. En tout cas, j’ai juste à faire un bon show. Et ça, je sais comment. » Surtout que son concert est bien rodé, même si elle avoue aussi aimer improviser et faire des interventions parlées. « Je prends toujours 30 minutes avant le spectacle pour penser à ce que je vais dire. Je m’informe sur la ville où on joue pour dire quelque chose de sympathique. Mais je n’écris rien, et parfois, ça sort un peu tout croche ! Mais c’est ça aussi, du spectacle vivant. »

La « petite grande sœur »

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« Dans la famille, Alexandra, c’est Céline, et moi, je suis clairement Claudette ! », s’est esclaffée l’humoriste Léa Stréliski, sœur aînée de la pianiste.

La pression est plus élevée aussi à cause de la présence de sa sœur aînée, l’humoriste Léa Stréliski, qui assure sa première partie pour l’occasion. « J’ai envie que ça se passe bien, alors je suis stressée pour elle ! C’est une nouveauté, on va faire quelque chose au rappel ensemble, alors c’est plus énervant, mais plus excitant. » À les voir s’amuser ensemble avant le spectacle, leur complicité est évidente, et pendant son numéro de 15 minutes en première partie, Léa rendra un hommage ému à sa sœur. « Moi, je sais par où elle est passée pour faire cette merveilleuse musique, j’étais là. C’est un voyage profond au bout de son cœur qu’elle a fait, et ça m’inspire », a dit la « petite grande sœur » après avoir entre autres raconté quelques souvenirs rigolos et comparé leurs deux carrières. « Dans la famille, Alexandra, c’est Céline, et moi, je suis clairement Claudette ! »

Relâcher les émotions

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Environ une heure avant de monter sur scène, c’est le moment de se faire maquiller et coiffer.

Environ une heure avant de monter sur scène, c’est le moment de se faire maquiller et coiffer. L’ambiance dans la loge est calme pendant qu’elle règle les derniers détails avec son agente, Emmanuelle Girard. La musique d’Alexandra Stréliski a touché le cœur du public et elle en est consciente. « J’entends souvent les gens pleurer pendant que je joue, raconte-t-elle. Au début, je trouvais ça chargé, mais je me dis que si ça leur fait du bien de pleurer… On est tellement pognés dans nos émotions, alors si on peut juste relâcher un peu, relâchons. Moi la première ! Avant je gardais tout en dedans. C’est pour ça que j’ai commencé à jouer du piano si jeune : pour trouver un vecteur pour ma sensibilité. » D’ailleurs, après chaque représentation, elle rencontre les spectateurs qui sont nombreux à vouloir lui parler. « C’est important de démocratiser la musique classique, ça fait partie de ma démarche. Aussi, les gens se déplacent, même en plein hiver… À Valleyfield vendredi, on s’est rendus malgré la neige, ça nous a pris deux heures ! Je me suis dit que les gens avaient bravé la tempête, qu’ils avaient payé, alors c’est la moindre des choses d’aller leur parler. »

Le public

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Alexandra Stréliski a joué à guichets fermés jeudi.

Alexandra Stréliski joue à guichets fermés jeudi, et les billets se sont tous envolés depuis des mois déjà. Dans le public qu’on observe avant le spectacle, beaucoup de couples. « Je me suis dit que ça ferait une belle sortie pour la Saint-Valentin », nous dit Jean-Philippe Côté, 30 ans, accompagné de son amoureuse Pamela Robert. Il a découvert Alexandra Stréliski après être allé voir un autre pianiste montréalais en concert, Chilly Gonzales. « C’est un ami qui m’en a parlé. Je sais, c’est très différent comme musique. C’est plus calme, plus émotionnel. Mais le piano pour moi, c’est le plus beau des instruments, et qu’il soit joué par des artistes montréalais, ça me pousse à les découvrir. » On rencontre un autre tandem, Nathalie et sa fille Rose, 17 ans. « J’ai remarqué qu’il y a beaucoup de duos mère-fille ce soir », dit la maman, qui s’attend à verser une larme ou deux. « C’est calme, c’est beau », dit Rose. Suzie Lemieux, elle, raconte que la première fois qu’elle a entendu une pièce d’Alexandra Stréliski, elle a ressenti « une grosse flammèche ». « J’ai tout de suite acheté des billets, ça doit faire six mois, raconte la dame de 57 ans. Quand tu sais qu’un artiste va t’accompagner toute ta vie… C’est un coup de cœur profond. »

Le spectacle

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La musicienne a joué toutes les pièces de son album Inscape, sorti il y a un peu plus d’un an.

La pianiste monte enfin sur scène vers 20 h 45, après la sympathique prestation de sa sœur Léa. Elle jouera toutes les pièces de son album Inscape, sorti il y a un peu plus d’un an, et aussi de son précédent, Pianoscope, qui lui a 10 ans déjà. « Il ne faut pas avoir peur de retourner dans le passé, explique-t-elle au public. Mais c’est aussi parce que le spectacle serait beaucoup trop court sinon ! » Alexandra Stréliski est pince-sans-rire et chacune de ses interventions est directe et punchée. Mais quand elle s’assied au piano pour dévoiler son « paysage intérieur », on pourrait entendre une mouche voler dans la salle. Divisé en quatre chapitres, le spectacle est un chemin qui va de la tourmente à l’apaisement, de la joie au spleen. La pianiste est inspirée et expressive, se lève parfois de son banc, le geste ample, le pied qui bouge, se retournant parfois pour regarder le public de face. Certains effets sont plus dramatiques, comme un rideau qui tombe soudainement ou un éclairage dru qui arrive de derrière le piano au niveau du sol, mais l’ensemble transmet surtout calme et douceur.

Émotion pure

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« J’espère que ce spectacle vous permettra de décrocher, de relaxer, de respirer et de rêver un peu », a dit Alexandra Stréliski aux spectateurs, conquis.

« J’espère que ce spectacle vous permettra de décrocher, de relaxer, de respirer et de rêver un peu », a dit d’ailleurs Alexandra Stréliski au début de la soirée. C’est son but, elle le répète souvent, ajoutant aussi que c’est un spectacle « non conventionnel ». « Vous pouvez même tousser, mais sur le beat. » Plus sérieusement, elle dira plus tard combien il lui a fallu passer à travers bien des épreuves pour écrire ces pièces, et en terminant avec l’émouvante et lumineuse Nouveau départ, qui clôt d’ailleurs Inscape, elle rappellera combien il faut du courage pour recommencer. « Parfois, il faut une armée d’amour pour nous aider à nous relever. Et cette armée d’amour, pour moi, c’est vous. » La soirée se termine ainsi sur ce moment d’émotion pure et irrésistible, encore plus touchante lorsque Léa vient la rejoindre pour chanter bonne fête à leur maman, appuyées par une chorale de plusieurs centaines de personnes. Famille, chaleur, humour, talent et surtout sincérité : cette image restera certainement gravée dans le cœur des spectateurs, et donnera sûrement des munitions à cette nouvelle armée d’amour pour longtemps.