Ils n’ont rien de Taylor Swift, encore moins de Carmen Campagne. Les enfants ne sont pas leur public cible. Pourtant, Les Trois Accords et Bleu Jeans Bleu ont la cote auprès des petits. Pourquoi ? On en discute avec les principaux intéressés.

En décembre, Les Trois Accords ont fait vibrer le MTelus, à Montréal. Alors qu’au parterre, adultes et grands ados sautillaient (c’est du rock, après tout !), le balcon était peuplé d’une tout autre faune, plus calme.

Une faune qui comptait des enfants. Pas mal d’enfants.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Les Trois Accords en spectacleMusique

Claire Guay, 6 ans, assistait à son tout premier spectacle. « J’ai aimé qu’il chantait fort », a confié la fillette, qui était accompagnée par ses parents et son frère Elliot, 9 ans.

Quand on évoque la présence d’enfants à ses spectacles, Simon Proulx ne s’étonne guère. « On a tout le temps eu des enfants qui venaient. Ça a toujours fait partie de notre public », dit le chanteur des Trois Accords lors d’un entretien téléphonique.

Dès la sortie d’Hawaïenne, premier succès du groupe en 2003, les petits ont accroché. Les gars du band étaient d’abord surpris de voir des enfants chanter Hawaïenne… alors que toute l’absurdité du propos de la chanson – un narrateur insatisfait de la nationalité de son amie – ne pouvait que leur échapper.

Ont-ils eu l’impression de rater leur cible ? « Au début, on ne savait pas, je dois l’avouer. On était un peu : “OK” ?, dit Simon Proulx en riant. Après, on s’est rendu compte que ce n’était pas grave, que tu pouvais aimer la musique même si le genre de concept ne te saute pas aux yeux. »

Des fois, souligne-t-il, c’est la mélodie qui plaît aux enfants. « Il y a peut-être de quoi de phonétique, les mots, le choix des mots », ajoute l’auteur-compositeur-interprète qui, après 16 ans de carrière, semble toujours intrigué par l’intérêt constant des enfants envers Les Trois Accords. « On n’a pas de contrôle sur les tounes que les enfants vont aimer. Ça arrive des fois… Et on ne sait pas pourquoi ! »

La folie Coton ouaté

Pour Mathieu Lafontaine, chanteur-compositeur-interprète de Bleu Jeans Bleu, les mots ne sont pas à négliger. « Il y a quelque chose en commun entre la raison pour laquelle les enfants tripent et les adultes tripent, et je pense que ça a à voir avec les mots. On sous-estime le pouvoir du fun qu’on a à répéter des mots », résume celui qui personnifie Claude Cobra.

« Par exemple, répéter “trop de patates, trop de patates, trop de patates frites”, c’est drôle pour un enfant, c’est le fun », poursuit Mathieu Lafontaine, qui écrit ses chansons en partie dans cette optique. « Parce que j’ai envie de dire ces phrases-là. »

Même procédé de création pour Coton ouaté, LA chanson qui enflamme les cours d’école ces temps-ci. « J’ai posé la question à ma blonde. “T’es-tu ben dans ton coton ouaté ?” Et j’ai fait : “Ouuu, OK, c’est tellement percussif, faut faire de quoi”, relate-t-il. Ça sonne cool. Ça sonne bien. »

Il n’y a pas de clientèle cible pour ce projet-là, mais chose certaine, on ne se doutait pas que les enfants pouvaient aussi aimer ça tant qu’on n’en avait pas vu dans les shows.

Mathieu Lafontaine, chanteur-compositeur-interprète de Bleu Jeans Bleu

  • « J’aime beaucoup ça et je trouve ça vraiment amusant », dit Mélodie Leclerc, 6 ans, venue voir Bleu Jeans Bleu à Beaumont l’été dernier. Son père et son frère de 4 ans, Thomas (à gauche sur la photo), l’accompagnaient.

    PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE 

    « J’aime beaucoup ça et je trouve ça vraiment amusant », dit Mélodie Leclerc, 6 ans, venue voir Bleu Jeans Bleu à Beaumont l’été dernier. Son père et son frère de 4 ans, Thomas (à gauche sur la photo), l’accompagnaient.

  • « Les voix sont drôles », dit Ulrick Bédard, 8 ans, qui a assisté au spectacle de Bleu Jeans Bleu, à Québec, en septembre. Ses chansons préférées ? Coton ouaté, J’ai mangé trop de patates frites et Phrases fromagées. 

    PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE 

    « Les voix sont drôles », dit Ulrick Bédard, 8 ans, qui a assisté au spectacle de Bleu Jeans Bleu, à Québec, en septembre. Ses chansons préférées ? Coton ouaté, J’ai mangé trop de patates frites et Phrases fromagées. 

  • « J’aime beaucoup les mots », dit Claire Guay, 6 ans, à propos des chansons des Trois Accords. Elle est venue les voir au MTelus avec ses parents et son frère. 

    PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE 

    « J’aime beaucoup les mots », dit Claire Guay, 6 ans, à propos des chansons des Trois Accords. Elle est venue les voir au MTelus avec ses parents et son frère. 

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« Quand on a commencé à faire des shows d’après-midi, on a fait “Bateau ! Y’a don’ ben des enfants ! Ça connaît les paroles ! Ça danse !” »

Ça s’entend au bout du fil : Mathieu Lafontaine est heureux que sa musique – qui a valu à Bleu Jeans Bleu le Félix du groupe de l’année 2019 – ait aussi rejoint les petits. Et non, il n’a pas l’impression de rater sa cible. Au contraire. « Ça touche plus grand que notre cible. »

Énergie et répétition

Qur’est-ce qui attire les enfants dans ces chansons « pour les grands » ? Si quelqu’un au Québec connaît les goûts musicaux des petits, c’est bien Sylvie Dumontier, qui a personnifié Shilvi pendant plus de 15 ans dès le début des années 2000 et réalisé quelque 400 spectacles. Nous lui avons posé la question.

EMMANUEL DUNAND, AGENCE FRANCE-PRESSE

Stromae

« À partir de l’âge de 3-4 ans, c’est l’énergie qui prend le dessus chez les enfants », constate-t-elle. Le côté entraînant, donc, mais aussi les côtés mélodique, répétitif et simple (sans être simpliste) accrochent les enfants, dit-elle.

Il faut que ce soit facile à comprendre ou à chanter. Je pense à Stromae et à sa chanson Papaoutai. Le refrain, c’est quasiment des onomatopées. Ou encore à la chanson C’est moi, de Marie-Mai. Ou à Grand champion, des Trois Accords. Il y a toujours un élément redondant.

Sylvie Dumontier, alias Shilvi

Le hook – un passage de la chanson qui capte l’attention de l’auditeur – demeure important, précise l’autrice-compositrice-interprète.

Bien qu’ils ne saisissent pas toutes les nuances de l’absurde qui font sourire leurs parents, les enfants semblent attirés par le côté irrévérencieux et cabotin, note Sylvie Dumontier, chez qui le disque Grand champion international de course, des Trois Accords, tournait « non-stop » quand ses filles étaient petites.

Impact sur la création ?

L’existence de ces petits amateurs a-t-elle un impact sur le processus créatif ? Du côté de Bleu Jeans Bleu, la question ne s’est pas vraiment posée, parce que le projet, à la base, ne se veut pas vulgaire, souligne Mathieu Lafontaine. « Ti-Claude, c’est un extrême Roger Bontemps, résume-t-il. Mais c’est certain que si on avait le goût de faire un vidéoclip tout nu dans du Cheez Whiz, probablement qu’on se retiendrait un peu. »

Simon Proulx ne s’est jamais censuré. « L’album J’aime ta grand-mère, c’est un album qui parlait de maladie mentale. C’est quand même cool d’entendre des enfants chanter Retour à l’institut, dit-il en riant. C’est un peu irréel. Je ne sais pas s’ils comprennent tout ce qu’ils chantent, mais c’est tant mieux. »

Seize ans après Hawaïenne, les gars des Trois Accords ont bon nombre d’amateurs qui les suivent depuis l’enfance (dont la fille de 16 ans de Sylvie Dumontier, d’ailleurs, qui est venue les voir au MTelus). « Il y a des gens pour qui on a été là à bien des étapes de leur vie, et c’est cool pour ça, conclut Simon Proulx. Et en vieillissant, je pense qu’ils pognent les autres niveaux ! »

Les artistes du moment 

Qu’est-ce que les enfants du primaire aiment écouter ? Nous avons posé la question, sur Facebook, à plus de 100 parents vivant majoritairement dans le centre de Montréal. Bleu Jeans Bleu est loin devant, cité par plus de la moitié des répondants. Viennent ensuite le groupe français Kids United, Les Trois Accords, les Français Bigflo et Oli, la Belge Angèle, Les Cowboys Fringants, Cœur de pirate, Émilie Bilodeau, Queen, Billie Eilish et Zaz.