Eater’s Digest, album phare de l’underground montréalais des années 90, a 25 ans. Groovy Aardvark souligne l’anniversaire de la sortie de son premier disque avec une réédition vinyle et un concert aux Foufs. Là où tout a commencé, ou presque.

« Y’a tu kelkun pour m’allumer ? », rugit Vince Peake dans la première chanson d’Eater’s Digest. Groovy Aardvark brasse de l’air depuis des années déjà quand ce disque sort, le 24 novembre 1994, mais la scène musicale québécoise n’est pas encore sortie de sa torpeur pop des années 80. Et l’impatience se fait sentir. Ici, le point d’interrogation est en fait un coup de poing sur la table.

« Ç’a été un cri du cœur auquel bien du monde s’est rattaché. On était plusieurs à sentir une espèce de vide », se rappelle le guitariste Martin Dupuis, parlant de la jeunesse de l’époque. Y’a tu kelkun ?, c’était un appel, une façon de crier : « Est-ce qu’il y en a d’autres qui cherchent autre chose ?, ajoute Vince Peake, bassiste. Est-ce qu’il y en a d’autres qui pensent comme nous autres ? »

Eater’s Digest a été lancé officiellement avec un concert aux Foufounes électriques — l’endroit a été rebaptisé plus tard, ne gardant que son petit nom. L’idée d’y rejouer pour cette réédition vinyle s’est imposée d’elle-même.

Faire les Foufs, pour le band de Longueuil qu’on était, c’était le but à atteindre. C’était l’antre de la musique alternative au Québec.

Vince Peake, bassiste de Groovy Aardvark

Groovy Aardvark est vite devenu un habitué de l’endroit : le groupe avait déjà joué environ 20 fois sur cette scène au moment de lancer son premier album. Ses musiciens s’y rendaient aussi « religieusement » pour prendre une bière tous les lundis soir, lors des fameux Black Mondays, où ils ont notamment cimenté leur amitié avec l’autre groupe phare de l’époque, GrimSkunk.

« Il y avait une saine compétition entre nos deux groupes, raconte Vince Peake. Quand GrimSkunk a sorti son premier EP, Exotic Blend, je n’étais pas jaloux, j’étais fier ! C’était motivant. Je me disais qu’il fallait qu’on se dépêche de sortir le nôtre. Si GrimSkunk faisait un gros show au Spectrum, on en faisait un à plus grand déploiement. Ça nous a aidés à devenir un meilleur groupe rapidement. Il fallait les accoter. »

Du hardcore compliqué

Ce qui frappe en réécoutant Eater’s Digest aujourd’hui, c’est combien les musiciens de Groovy Aardvark étaient déjà solides. Alors que bien des groupes hardcore ou punk savaient à peine jouer et faisaient surtout du bruit, ces gars-là avaient clairement une direction. Ou du moins un terrain de jeu vaste et la virtuosité pour l’explorer : prog, métal, groove, hardcore et funk.

On a toujours fait exprès pour mélanger les styles. Je tripais autant sur DRI et GBH que sur Mahavishnu Orchestra, Gentle Giant et Genesis. Alors on a fait du prog avec des bouts rapides ou du hardcore avec des bouts compliqués…

Vince Peake

L’esprit de Frank Zappa plane aussi.

Ce mélange explosif est précisément ce qui a soufflé Martin Dupuis, qui a d’abord connu le groupe en tant que fan. « Je n’en revenais pas de la complexité et de leur dextérité. Je suis sorti de là découragé, dit-il, parlant du tout premier concert de Groovy auquel il a assisté. Je me disais qu’il fallait que j’arrête de faire de la musique, qu’il y avait quelque chose que je n’avais pas compris. »

Après les départs successifs des guitaristes Stéphane Vigeant et Martin Pelletier, Martin Dupuis a d’abord cru que Eater’s Digest ne sortirait jamais. Puis, il a auditionné pour obtenir le poste. « J’étais sûr que je ne l’aurais pas, mais j’ai auditionné en maudit, j’avais du gaz d’avion dans ma tinque ! » Sa motivation — et ses appels incessants après l’audition — a fini par convaincre les autres membres de Groovy.

Un peu plus de 25 ans plus tard, les deux musiciens sont fiers du chemin parcouru. Groovy Aardvark ne donne plus que quelques concerts par année, et gérer son patrimoine lui convient. Vince Peake, qui joue maintenant aussi avec GrimSkunk, est d’ailleurs particulièrement heureux que Eater’s Digest sorte enfin en format vinyle.

« J’ai 52 ans, je viens du vinyle, dit-il. L’objet me fascine toujours autant. J’aime mettre l’aiguille. Même s’il y a des scratchs sur le disque, c’est pas grave, ça fait partie de l’affaire. Et quant à moi, le son analogue sera toujours meilleur. Easter’s Digest sonne mieux que jamais. »

Aux Foufs, le 23 novembre, 20 h.