(Paris) « J’aimais sa différence, j’aimais le non-conformiste », raconte Tony Visconti, producteur historique de David Bowie, venu à Paris à l’occasion de la sortie du livre de son ami Jérôme Soligny, Rainbowman, sur l’auteur de Heroes.

En un demi-siècle, on peut lire le nom de Visconti sur seize albums du Thin White Duke, comme l’a recensé Soligny, homme aux multiples casquettes (compositeur, notamment pour Étienne Daho, journaliste, etc.). Alors forcément, ça marque une vie. « On m’a souvent dit dans ma carrière “je veux le son de Bowie”, mais sauf qu’il manque quelque chose, il manque Bowie », sourit le metteur en son, assis au côté de l’écrivain dans un petit bar rock’n’roll du 11e arrondissement de Paris devant quelques journalistes.

Visconti, alors âgé de 23 ans, venu en Angleterre comme assistant d’un producteur anglais pour décortiquer le son du « swinging London », rencontre un Bowie « nerveux et timide », âgé de 20 ans, au balbutiement de sa carrière, dans un studio d’enregistrement à Londres, comme l’écrit Soligny.

La poignée de main qui s’ensuit va changer la vie des deux hommes, aux multiples points communs.

« J’ai rapidement compris que j’appartenais à cette ville, Londres, j’ai dû dire au revoir à ma femme d’alors, casser mon mariage : vous n’allez pas me croire, mais une diseuse de bonne aventure m’avait dit que je rencontrerais quelqu’un comme lui (Bowie) à Londres et que j’y resterais », raconte Visconti, 75 ans, dans un costume noir italien avec cravate à fleurs.

Brouille de 14 ans

« Ce qui était improbable pour un type comme moi, né à Brooklyn, issu de la classe ouvrière », arrivé à la musique par le biais de « trois ans de guitare classique au lycée avec un professeur extraordinaire », se souvient-il.

Le nom de Visconti — qui produisit également T. Rex — reste associé à des albums mythiques de Bowie, Space Oddity, The man who sold the world, Young Americans, Low, Heroes, Scary Monsters — « mon préféré » selon le producteur — jusqu’au dernier de l’artiste Blackstar.

« Il a pratiquement commencé avec moi et il a terminé avec moi comme producteur », résume Visconti.

Tout n’a pas été sans heurts dans leur relation. Bowie sollicite d’autres producteurs, comme Nile Rodgers pour Let’s Dance (1983). Un jour Bowie l’appelle aussi au secours pour une tournée au son imparfait, persuadé que Visconti va repartir avec lui sur les routes. Mais ce dernier décline : « non, j’ai prévu des vacances avec ma femme, je ne vais pas encore divorcer à cause de toi (rires) ».

Et puis il y a la brouille. « On a travaillé longtemps ensemble, il était ouvert avec la presse. Puis il est devenu privé. Un jour j’ai parlé à un journal anglais de sa relation avec son fils, et il m’a presque arraché la tête (rires). Il m’a dit que je n’avais pas le droit de parler de sa famille. Il ne m’a plus parlé pendant 14 ans. Je me disais “que sera sera”… »

Présence qui hante

Le coup de fil de Bowie qui brise la glace arrive un jour. « J’ai eu envie de laisser tomber ce que je faisais alors (rires). En se reparlant, on s’est rendu compte à quel point on avait toujours été proches ». « C’est bien qu’il ait travaillé avec d’autres producteurs, comme ça il appréciait d’autant plus mon travail », rigole encore Visconti.

La présence de Bowie le hante encore. Quand il remixait Space Oddity pour le coffret David Dowie conversation piece, Visconti avoue qu’il a regardé le Grammy Award récolté pour Blackstar en demandant « est-ce que ça va, ce que je fais ? », comme si son vieux complice (décédé en 2016) allait lui répondre.

« Il y a une petite banquette dans son studio où s’asseyait Bowie et Tony parfois se tourne vers cette banquette », décrit aussi Soligny. Son premier tome David Bowie Rainbowman, 1967-1980, qui collecte les témoignages sous angle musical — « pas le point des vues des managers, des groupies, des dealers… », insiste l’auteur — est disponible en librairie. Le second tome est prévu pour l’hiver 2020.