Louis-José Houde avait un conseil pour Fouky, dimanche, pendant le gala de l’ADISQ. Fort de ses 20 ans de métier d’humoriste, l’animateur a suggéré au jeune rappeur de se tenir loin des coussins dans les loges des salles de spectacle. « J’ai 20 ans de tournée dans le corps, a-t-il rappelé. Un conseil, le Fouk : touche pas à un oreiller de loge. Tu ne sais jamais qui était là la veille ! Des fois, c’est Patrick Bruel… »

Il faisait bien sûr référence aux récentes allégations d’inconduite sexuelle qui pèsent sur le chanteur français. Cinq femmes ont accusé Patrick Bruel d’exhibition ou de harcèlement sexuel depuis deux mois. Ce qui n’a pas empêché Bruel de donner récemment des spectacles à Nantes, Rennes, Rouen et Caen. Comme si de rien n’était.

PHOTO TIZIANA FABI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Patrick Bruel sera bientôt à l’affiche du film intitulé Le meilleur reste à venir, présenté en première, jeudi dernier, au Festival international du film de Rome.

Le chanteur de Qui a le droit ? sera bientôt à l’affiche d’un nouveau film intitulé Le meilleur reste à venir. Ça ne s’invente pas.

Le mouvement #metoo français n’est pas le mouvement #metoo nord-américain, mettons…

Faisant l’objet d’une enquête pour agression sexuelle, à la suite d’événements survenus en juillet dernier dans un spa à Perpignan, Patrick Bruel est aussi visé par une enquête préliminaire pour « exhibition et harcèlement sexuels » par une esthéticienne corse. Début août, il aurait exigé une « prestation à caractère sexuel » pendant un massage, selon la présumée victime. Bruel a été interrogé par la police française le mois dernier et a nié avoir eu des gestes déplacés. Il dit avoir refusé de porter des sous-vêtements pendant le massage, « parce qu’il faisait chaud ».

Deux autres plaintes semblables ont été médiatisées, fin septembre, pour des actes remontant respectivement à 8 et 11 ans. En 2008, Bruel aurait demandé à une massothérapeute d’un hôtel cannois de le masturber. Devant son refus, il l’aurait menacée de se plaindre d’elle à son patron, une connaissance. Le chanteur aurait en outre, en 2011, toujours dans un hôtel corse, réclamé une fellation d’une autre massothérapeute et maintenu contre elle son pénis en érection.

Une esthéticienne d’un Club Med a enfin laissé entendre que Bruel aurait aussi eu des comportements déplacés avec elle, en 2017.

C’est toujours des personnes qui ont une certaine puissance, une certaine richesse et une certaine renommée qui s’amusent à faire ce genre de chose.

Une esthéticienne, au Progrès de Lyon

Les avocats de Patrick Bruel nient tout comportement déplacé de leur client.

Patrick Bruel n’a pas été accusé formellement. Les enquêtes suivent leur cours et il est réputé innocent jusqu’à preuve du contraire. Mais bien des soupçons d’inconduite pèsent sur lui. Et ils sont lourds. À moins d’être convaincu d’un vaste complot de massothérapeutes et d’esthéticiennes françaises contre Patrick Bruel, ces allégations devraient à tout le moins être prises au sérieux.

C’est ce qu’ont fait, au Québec, les équipes des émissions En direct de l’univers, Les enfants de la télé (à Radio-Canada) et La vraie nature (à TVA). En annulant la participation de Bruel, en tournée de promotion de son nouvel album, elles ont pris une décision sage, prudente et raisonnable.

On n’aurait pas tort de conclure que cette histoire témoigne du décalage, voire du schisme qui sépare les cultures européenne et nord-américaine en matière d’inconduite sexuelle. Il semble en effet y avoir deux poids, deux mesures. Pour des allégations semblables, les animateurs Jian Ghomeshi et Éric Salvail ont été suspendus par leur employeur, avant même que des accusations soient portées.

Depuis la mi-août, une vingtaine de femmes ont accusé aux États-Unis le ténor espagnol Placido Domingo de harcèlement sexuel depuis la fin des années 80. Sans attendre les résultats d’une enquête, Domingo a été suspendu de l’Opéra de Los Angeles, dont il est directeur général depuis 2003. Ses prestations ont été annulées au Metropolitan Opera de New York et à l’orchestre de Philadelphie, deux institutions dont le chef est le Montréalais Yannick Nézet-Séguin.

Le mouvement #metoo ne semble pas avoir le même poids ni la même résonance des deux côtés de l’Atlantique. Il y a toutefois des exceptions. Non seulement Patrick Bruel a-t-il repris sa tournée française — après une pause de cinq semaines —, mais encore ses spectacles au Québec sont toujours prévus la semaine prochaine, au Centre Bell et au Centre Vidéotron.

Le spectacle […] au Centre Bell aura lieu étant donné qu’il s’agit d’allégations et non d’accusations dont fait l’objet M. Bruel. Cependant, evenko prend cette situation très sérieusement et portera attention aux développements, s’il y a lieu.

evenko

Je veux bien accepter qu’il y ait une différence importante entre des allégations et des accusations. Patrick Bruel peut bien sûr se donner en spectacle si ça lui chante. Il « a le droit de faire ça » (scusez-la). Je peux, de mon côté, m’étonner de la désinvolture avec laquelle il s’apprête à chanter devant des milliers de spectateurs — parmi lesquels, sans doute, une majorité de femmes — dans les deux plus grands amphithéâtres du Québec.

En France, devant des salles combles, Bruel ne mentionne jamais « l’affaire ». Il se comporte comme s’il s’agissait d’un mirage ou d’une vue de l’esprit. Comme si les témoignages de ses présumées victimes ne comptaient pour rien. Qu’elles ne valaient même pas la peine d’être entendues.

Il me semble qu’en pareilles circonstances, la chose la plus responsable à faire — j’oserais dire, la plus décente — serait pour Patrick Bruel de faire profil bas, en attendant que sa situation soit clarifiée. De s’éclipser momentanément de l’espace public pendant que se dénoue l’affaire devant la police ou les tribunaux. De cesser de nourrir ses réseaux sociaux. De s’abstenir de donner des entrevues et de faire la promotion de son album. De suspendre sa tournée.

Si Bruel n’a rien à se reprocher, ainsi qu’il le prétend, il sera toujours temps pour lui de revenir donner ses spectacles à Montréal et à Québec plus tard, afin de se faire acclamer par un public indéfectible. Est-ce trop lui demander ? Au nom de femmes qui estiment avoir été agressées, harcelées ou maltraitées par lui ? Il semble bien que oui.