Il y a cinq instruments sur scène : une guitare électrique, une batterie, une basse, une flûte traversière et un tambourin. Le groupe de musique compte cinq musiciens : trois hommes et deux femmes. Si on vous demande d’associer chaque musicien à un instrument, il y a de fortes chances que vous fassiez l’équation guitare-batterie-basse : homme ; flûte-tambourin : femme.

Il y a plusieurs raisons à cela. Parce que l’histoire de la musique populaire regorge d’exemples où ces instruments sont ainsi traditionnellement « genrés ». Parce que par automatisme, notre cerveau fait des liens stéréotypés qui lui semblent les plus évidents. Et parce que nous avons tous des préjugés, qu’ils soient conscients ou inconscients.

L’exclusion involontaire est le plus répandu des préjugés inconscients. Un homme sera plus porté, par exemple, à privilégier et à récompenser ce qui lui est le plus familier, c’est-à-dire le travail d’un autre homme. 

On a une inclination naturelle vers ce que l’on connaît. C’est un réflexe humain. Mais ce réflexe n’est pas sans conséquence. Il contribue, qu’on le veuille ou non, à maintenir le statu quo. Et à favoriser ceux qui nous ressemblent, au détriment des autres.

Il y a deux ans, Klô Pelgag est devenue la première femme en près d’un quart de siècle à remporter le Félix de l’auteur ou compositeur de l’année au gala de l’ADISQ. Il n’y a eu, dans toute l’histoire de la cérémonie, que quatre femmes lauréates de ce prestigieux prix : Diane Tell, Louise Forestier, Francine Raymond et Klô Pelgag.

Cela s’explique en partie par le fait que seulement le cinquième des auteurs-compositeurs qui soumettent leurs œuvres au gala de l’ADISQ, bon an, mal an, sont des femmes. Et que les membres votants du gala de l’ADISQ sont en majorité des hommes. Le contexte n’est pas très favorable aux auteures-compositrices. C’est la conclusion à laquelle on en vient après avoir lu le très éclairant reportage de ma collègue Josée Lapointe sur les femmes qui dominent cette année la catégorie reine du gala.

Une fois n’est pas coutume. Les trois auteures ou compositrices finalistes au gala de dimanche prochain, Ariane Moffatt, Salomé Leclerc et Alexandra Stréliski, restent l’exception qui confirme la règle. Ce n’est pourtant pas faute d’efforts et de volonté de la part de l’ADISQ de sensibiliser ses membres aux problèmes de disparité entre les sexes dans le milieu de la musique québécoise. L’ADISQ et son gala sont dirigés par des femmes qui ont visiblement à cœur les enjeux de parité.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

« Le simple fait de voir des femmes majoritaires dans la catégorie phare du gala témoigne des progrès en cours », souligne notre chroniqueur.

La plus prestigieuse des catégories du gala est d’ailleurs officiellement désignée « auteur ou compositeur, auteure ou compositrice de l’année ». Sa féminisation n’est pas seulement un détail. La manière dont on nomme les choses a une influence sur la manière dont on les perçoit et, à terme, sur les décisions que l’on prend en ce qui les concerne.

Pourquoi ne célèbre-t-on pas davantage le talent des auteures et compositrices ? Ce n’est pas une question de mauvaise foi, comme le soulignent les artistes rencontrées par ma collègue, mais bien de sexisme involontaire. 

Les préjugés inconscients sont tenaces et les vieilles habitudes ne se changent pas du jour au lendemain en criant « ferrofluides-fleurs ».

Mais le simple fait de voir des femmes majoritaires dans la catégorie phare du gala (en compagnie des Louanges et de Koriass) — pour seulement la deuxième fois de son histoire — témoigne des progrès en cours. D’autant que d’autres femmes auraient pu s’y retrouver sans que quiconque sourcille : Safia Nolin, Elisapie ou encore Cœur de pirate, par exemple.

Cela dit, les trois auteures ou compositrices qui s’y trouvent n’ont pas volé leur place. Elles sont extrêmement talentueuses et ont offert certaines des œuvres les plus abouties et mémorables de la dernière année.

La pianiste Alexandra Stréliski a connu un succès phénoménal grâce aux pièces néoclassiques subtiles, sensibles et élégantes — à la sensibilité pop assumée — de son album INSCAPE. Les choses extérieures de Salomé Leclerc est une exploration sonore tout aussi envoûtante, à l’instar de l’hypnotique Nos révolutions. Pour en revenir aux préjugés inconscients, cette guitariste de grand talent joue sur son troisième album de tous les instruments ou presque…

Ariane Moffatt, elle-même une multi-instrumentiste accomplie, est finaliste pour la deuxième fois de sa carrière dans la catégorie grâce à Petites mains précieuses. Son sixième album de chansons originales alterne entre le calme et la tempête dansante, avec des clins d’œil aux sonorités des années 70. C’est un album fait de succès instantanés, comme l’irrésistible Pour toi. Que cette pépite ne soit pas finaliste au Félix de la Chanson de l’année me semble d’ailleurs un non-sens.

Ma prédiction pour le Félix de l’auteur ou compositeur de l’année ? Les Louanges, dont le premier album, La nuit est une panthère, est lui aussi excellent. Je lui accorde bien sûr l’avantage de l’a priori positif réservé au candidat qui correspond le plus à la majorité des électeurs dans le choix du vainqueur. Mais peut-être aussi que je dis ça parce que je suis un homme…