(New York) À l’intérieur d’un entrepôt d’une rue anonyme de Tribeca, au sud de Manhattan, à New York, vit l’une des plus importantes collections de vinyles au monde, des archives qui ont survécu à l’avènement du numérique avec le soutien de quelques célébrités.

Classés, répertoriés, les 3,25 millions d’enregistrements, pour l’essentiel des vinyles complétés par des CD et des cassettes, sont rangés sur les grandes étagères de l’ARChive of Contemporary Music, le nom de cette organisation fondée en 1985.

« Vous découvrez des choses en permanence », explique le cofondateur, B. George au sujet de ces objets qui contiennent plus de 90 millions de chansons et dont le nombre ne cesse de croître à la faveur de dons réguliers.

La collection recèle aussi de nombreux livres, magazines, vidéos, films, affiches ou objets souvenirs.

À l’ère du numérique, les enregistrements physiques se font rares, même si le vinyle connaît une résurgence depuis quelques années.

Ces disques, en tant qu’objets, appartiennent pourtant à l’histoire, sans compter que tous les morceaux qui figurent dessus n’existent pas sous forme numérique.

La révélation, en juin, que les bandes maîtresses (masters) de 500 000 morceaux, dont de nombreux classiques, avaient été détruites en 2008 dans l’incendie d’un entrepôt situé sur le site des studios Universal, a rappelé le caractère périssable de la musique enregistrée.

Les bandes maîtresses sont les enregistrements initiaux qui sont utilisés pour des rééditions, des albums posthumes ou des compilations.

Même si rien n’égale la qualité des masters, plusieurs maisons de disque ont contacté l’ARChive pour avoir accès à des versions proches des enregistrements originels.

Deux rééditions d’albums de l’artiste nigérian Fela Kuti, créateur de l’Afrobeat, ont ainsi été réalisées sur la base de vinyles dénichés dans l’entrepôt de Tribeca.

Et dans 5000 ans ?

Au-delà des professionnels de l’industrie de la musique, des réalisateurs et des chercheurs viennent régulièrement y puiser pour alimenter leurs projets.

Le Grammy Museum de Los Angeles, consacré aux Grammy Awards, les récompenses de l’industrie musicale américaine, ainsi qu’à l’enregistrement de la musique, a soumis à l’ARChive une liste de 3000 étiquettes et pochettes pour illustration.

Après deux semaines de recherche, le fonds les avait quasiment tous trouvés, se souvient B. George.

La collection qu’il a créée avec David Wheeler, décédé en 1997, accepte tous les dons de musique populaire, que B. George définit comme tout ce qui n’est « pas classique ».

Il se souvient avoir récupéré d’un coup 125 000 disques de rock, dont quelque 1500 dédicacés, venus d’une maison de Boston condamnée parce qu’elle menaçait de s’effondrer sous les poids des vinyles.

Toujours locataire de son entrepôt, ARChive s’appuie sur la générosité de mécènes pour continuer à payer le loyer. Quartier où se vidaient progressivement les locaux commerciaux au début des années 80, Tribeca est devenu l’un des plus chers des États-Unis aujourd’hui.

Parmi ses soutiens, B. George compte notamment l’artiste d’avant-garde Laurie Anderson, à qui il a présenté son futur mari, le chanteur Lou Reed, ou encore le musicien et producteur Nile Rodgers. Le réalisateur Martin Scorsese, le chanteur Youssou N’Dour ou Paul Simon font partie des conseillers de la structure.

Plus convaincu que jamais de l’intérêt de la conservation de ce patrimoine, B. George n’en a pas moins conscience que « tout est fuyant ». « Si on est réaliste, tout cela ne sera que poussière dans 5000 ans. »

Il cherche donc à multiplier les supports et travaille avec le site Internet Archive, sorte de mémoire du web, pour numériser ce fonds avec l’idée de conserver « autant de choses que possible au maximum d’endroits ».

Quelque 130 000 78 tours, version ancienne des vinyles, ont déjà été numérisés et peuvent désormais être écoutés gratuitement en ligne.

« Vous faites de votre mieux », dit B. George, « en espérant que la migration se fera vers la prochaine étape, jusqu’au futur moyen de conservation, mais c’est imprévisible. »