(Londres) Les rappeurs Dave, Slowthai, les groupes punk Idles, Fontaines DC… Ce sont des jeunes artistes engagés qui montent sur scène jeudi soir à Londres pour tenter d’obtenir le prestigieux Mercury Prize, donnant voix à une génération révoltée.

« On est à un moment où tout stagne et personne ne parle pour le peuple », s’est indigné Slowthai, 24 ans, phénomène montant du rap anglais et favori des parieurs pour le prix. « J’en ai juste eu marre et voulu dire la vérité », a-t-il déclaré la semaine dernière à la BBC à propos de son album Nothing Great About Britain.

Créé en 1992, le Mercury Prize consacre le meilleur album britannique ou irlandais des douze derniers mois, par une somme de 25 000 livres (41 000 $). Avec son disque paru en mai, Slowthai donne le ton de l’édition 2019 : blasée, critique, piquante.

« Je suis un produit, ils me font porter des chaînes comme mon grand-père esclave », chante l’Anglais originaire de la Barbade. « Il n’y a rien de grand en Grande-Bretagne, bois une tasse de thé pendant qu’on crache ».

D’où vient ce pessimisme ? « J’ai grandi dans la cité, et quand j’étais petit, la plupart des gens autour de moi vivaient avec que dalle, touchaient les allocs, ou faisaient des allers-retours en prison, alors je n’ai jamais eu l’impression de vivre dans une “Grande” Bretagne », expliquait l’artiste, qui a été élevé à Northampton, au magazine Vice en mars. « Les uns les autres, c’est tout ce que nous avions. Et le référendum sur le Brexit nous a même enlevé ça ».

« Crier sans être entendue »

Autre favori : le rappeur Dave, 21 ans. Au micro, le sud-Londonien dénonce un racisme institutionnalisé. « Plus la baie est noire, plus le jus est sucré. Un enfant meurt, plus le tueur est noir, plus la nouvelle est sucrée », chante-t-il dans Black (Psychodrama).

De son côté, Little Simz, dont le flow emprunte au R & B, au jazz et à la grime (mélange de hip-hop et de rap), verbalise les aspirations d’égalité de toute une génération. « J’ai toujours eu l’impression que je criais et que je n’étais pas entendue. Ce n’est pas un sentiment agréable », a confié la Londonienne de 25 ans mercredi au Telegraph.

Dans son album Grey Area, elle s’en prend avec force et humour au monde cloisonné du rap masculin, se comparant tantôt à Jay-Z, tantôt à Shakespeare… « Ils n’accepteront jamais que je suis la meilleure, pour le simple fait que j’ai des ovaires », entonne-t-elle.

« Essayer d’éduquer »

Il n’y a pas que les rappeurs qui s’indigneront jeudi sur la scène de la célèbre salle de concert Eventim Apollo Hammersmith.

Dans son album Everything not saved will be lost-Part 1, Foals regrette la disparition des oiseaux, un cri poussé sur un rock mélodieux, qui appelle à la prise de conscience.

Les punks irlandais de Fontaines DC (Dogrel) dénoncent eux l’embourgeoisement de Dublin et la mort des centres-ville tandis que les Idles (Joy as an Act of Resistance), formés à Bristol, défendent l’immigration et lèvent la voix contre la masculinité toxique, celle qui impose aux hommes de « boire », de « ne pas pleurer », « d’avoir des boules ».

« J’étais l’un de ces gars quand j’étais plus jeune, (coincé) dans un putain de bocal à poissons, qui voulait s’échapper », racontait leur chanteur principal Joe Talbot, ancien alcoolique, dans une entrevue au Guardian en 2018. Avec la musique, « c’est important d’essayer d’éduquer ».

En lice également Anna Calvi avec Hunter, où elle explore les notions de genre pour « se libérer du patriarcat », Black Midi avec Schlagenheim, Cate Le Bon (Reward), Nao (Saturn), SEED Ensemble (Driftglass) et The 1975 (A Brief Inquiry into Online Relationships).

« Cette année, le Mercury Prize célèbre la diversité frappante des compositeurs britanniques et irlandais et leur objectif partagé d’explorer des questions d’identité et d’appartenance dans une période de divisions et de désaccords », ont souligné les jurés du prix.