(Montréal) Le grand nom de la scène jazz montréalaise Vic Vogel a joué sa dernière note. Celui qui avait appris à jouer du piano à l’oreille à cinq ans pour ensuite devenir l’une des plus grandes légendes canadiennes du jazz est décédé lundi à l’âge de 84 ans.

Vic Vogel « s’est éteint ce lundi matin du 16 septembre 2019 à 9 h 35 dans sa demeure de Montréal aux côtés de sa maîtresse, son piano Steinway sur lequel il a joué depuis l’âge de 16 ans », lit-on sur sa page Facebook.

Son ami Éric Ayotte a de son côté écrit que « l’Homme de Cuivre s’est éteint après une longue bataille contre la maladie ».

« Montréal perd une légende, le monde de la musique un maître incontesté et moi un ami », écrit M. Ayotte.

Au cours de sa longue carrière, Vic Vogel a partagé la scène avec plusieurs grands noms de la musique, dont Oscar Peterson, Dizzy Gillespie, Maynard Ferguson, Mel Torme et Slide Hampton. Il a également accompagné Paul Anka, Tony Bennett, Eartha Kitt, Andy Williams, Sammy Davis Jr, Jerry Lewis, Michel Legrand, Ann-Margaret, Shirley MacLaine et Tennessee Ernie Ford.

Chef d’orchestre coloré, il était aussi actif dans le milieu de la pop, et occasionnellement de la musique classique. Avoir composé, écrit et dirigé la musique officielle des Jeux olympiques de sa ville natale, Montréal, en 1976, demeure l’un des grands moments de sa vie, a-t-il déjà reconnu. Il avait su alors mêler la musique classique, le jazz et les rythmes autochtones.

La maladie l’avait empêché de participer à son « concert d’adieu » au Festival international de jazz de Montréal (FIJM), le 30 juin 2015. Il avait reçu chez lui, la veille, le prix Miles-Davis « hors série » du FIJM, soulignant l’ensemble de son œuvre. Seul Dave Brubeck avait mérité cet hommage, en 2010, deux ans avant sa mort.

Sa famille indique lundi qu’une célébration en son honneur « aura lieu prochainement ».

Un autodidacte

Né le 3 août 1935 de parents hongrois qui s’étaient établis à Montréal, Victor Stefan Vogel s’est intéressé à la musique après avoir regardé son frère en jouer. Dès l’âge de 14 ans, et après avoir appris de manière autodidacte le trombone, le tuba et le vibraphone, il se produit tant à la télévision, sur les ondes de CBC, que dans les boîtes de nuit.

À l’âge de 19 ans, il souhaite approfondir ses connaissances théoriques en musique et se tourne vers le professeur d’Oscar Peterson. En raison de ses ennuis de santé, celui-ci l’a plutôt référé à son collègue Michel Hirvy, qui a aidé Vogel à se perfectionner.

Après avoir joué au sein de plusieurs orchestres, il a dirigé son premier groupe dans un cabaret montréalais en 1960, puis est parti en tournée avec le Double Six de Paris et l’orchestre de Radio-Canada ; il fonde le Big Jazz Band en 1967.

Vogel est rapidement devenu un incontournable du Festival international de jazz de Montréal : il a notamment donné le spectacle de clôture de la toute première édition en 1980 et six ans plus tard, il accompagne le trompettiste Dizzy Gillespie. En tout, il montera à plus de 30 reprises sur les scènes du festival. En 1992, il obtient d’ailleurs le prix Oscar-Peterson que remet le FIJM à un artiste ayant contribué à l’essor du jazz canadien.

Musique pop

Le musicien est toujours demeuré fidèle à la scène musicale québécoise et il a grandement contribué à maintenir la popularité du jazz au Québec. En compagnie de son Big Jazz Band, il a participé à la tournée du groupe Offenbach, puis à son célèbre album Offenbach en fusion, gagnant du Félix du meilleur album rock en 1980 et demeuré un classique de la musique québécoise.

Vic Vogel compte à son actif de nombreux albums certifiés or ou platine et a été mis en nomination pour plusieurs prix Juno et Félix ; il a lancé son premier album solo en 1993. Il a aussi enregistré des albums avec Johanne Blouin et Martin Deschamps. Il a par ailleurs écrit, arrangé et dirigé la musique des cérémonies d’Expo 67 et des Jeux du Canada en 1985.

En septembre 2013, il est devenu le premier lauréat d’un prix portant désormais son nom, le prix Vic-Vogel, remis par le Festi Jazz international de Rimouski.

Mais lorsqu’on lui faisait remarquer l’étendue de ses accomplissements, Vogel demeurait humble. « Je suis un grand cuisinier, comprends-tu ? Je fais la popote musicale », déclarait-il simplement pour se décrire lors d’une entrevue diffusée à RDI à l’automne 2013.

Réactions

Le contrebassiste Michel Donato, qui l’a visité il y a quelques semaines encore, a raconté en entrevue téléphonique lundi que Vic Vogel lui avait « ouvert les oreilles et donné un bon coup de main ».

M. Donato, qui a aujourd’hui 77 ans, a joué dans le « band » de Vic Vogel alors qu’il avait 16 ans — il y a une soixantaine d’années. « Quand j’étais très jeune, il m’avait emmené chez lui puis il m’avait joué des trucs au piano, avec des harmonies assez spéciales, et ça, ça m’avait allumé, raconte M. Donato. C’est le premier qui m’a fait réaliser qu’on avait le droit de faire ça. »

Le contrebassiste estime que Vic Vogel laisse un grand legs pour les jeunes musiciens montréalais. « Jusqu’à la fin, il y a eu plein de jeunes qui allaient chez lui le lundi pour pratiquer dans le “big band”. »

Alain Simard, cofondateur du Festival international de jazz de Montréal, n’hésite d’ailleurs pas à qualifier cet ensemble d’« institution ». « Tous les grands musiciens d’instruments à vent ont fait partie (de son band), c’est remarquable […] Il y a maintenant des milliers de musiciens qui sont un peu tributaires de l’œuvre de pionnier qu’a faite Vic Vogel. »

John McGale, qui a été de la grande aventure Offenbach, a salué la mémoire de « l’homme qui a su fusionner rock et blues avec un Big Band jazz ».

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a salué ce « grand Montréalais » disparu lundi. « Le nom de Vic Vogel est associé à l’image d’un musicien qui réussissait à chacune de ses apparitions à nous faire partager sa passion pour la musique, et en particulier pour le jazz. »

Le président du Conseil des arts de Montréal, Jan-Fryderyk Pleszczynski, estime que Vic Vogel « aura participé activement à la création d’un véritable mouvement qui a permis à Montréal de devenir le lieu emblématique du jazz qu’elle est aujourd’hui ».

Une biographie intitulée Vic Vogel : une histoire de jazz, écrite par Marie Desjardins, est parue en octobre 2013.