(Ajaccio) Du Carnegie Hall de New York au Musikverein de Vienne, le violoniste Bertrand Cervera joue à travers le monde, mais aussi dans les villages, vignes, maisons de retraite ou prisons de sa Corse natale, passionné par le lien social que crée la musique.

Violon solo de l’Orchestre National de France, premier orchestre symphonique de l’Hexagone, Bertrand Cervera est aussi soliste du World Orchestra for Peace (WOP) de l’UNESCO qui réunit depuis 1995 les meilleurs musiciens d’une quarantaine de pays pour honorer « la force unique de la musique en tant qu’ambassadeur de paix », selon les mots de son créateur Georg Solti.

« Ce n’est pas grâce à nous qu’il y aura la paix, mais on joue ensemble, Russes, Ukrainiens, Anglais, Allemands… tous vers le même but. C’est cet esprit-là, le WOP », explique à l’AFP le violoniste né dans cette île française de la Méditerranée, à Bastia, le 15 juin 1967 dans une famille de pieds-noirs tout juste rentrée d’Algérie.

« Le 11 novembre 2018, on a joué la 9e de Beethoven dans une petite ville allemande à l’heure de la signature de l’Armistice, moi ça m’émeut, c’est des moments forts », glisse le quinquagénaire, allure sportive et bronzage doré, aussi à l’aise en queue de pie que pieds nus dans les vignes corses du Domaine Abbatucci où ce féru de biodynamie, récent titulaire du bac agricole, option vinicole, aime jouer quelques notes.

Un rapport à la terre qui « tient à l’intime. J’ai voulu retrouver mon frère par la racine », dit-il en évoquant le décès de son aîné en février 2018.

Invité dans les orchestres de Lisbonne, Londres, Kyoto ou New York, il a joué sous la baguette des plus grands chefs d’orchestre. « Kurt Mazur est un mentor pour moi. Il a fait les jeunesses hitlériennes, le front de l’Est, il s’est senti coupable, il m’a fait voir les choses différemment ». « Un jour, on jouait la symphonie Babi Yar de Chostakovitch et soudain, il s’arrête et dit “vous marchez sur 90 cadavres, c’est ça Babi Yar”, après ça, on ne le joue plus jamais pareil », glisse le musicien formé aux conservatoires de Nice et Paris. Des dizaines de milliers de Juifs et Ukrainiens ont été tués à Babi Yar, un ravin dans les environs de Kiev, après l’invasion allemande de l’URSS en 1941, selon les historiens.

« Diamant rare »

En Yehudi Menuhin, il salue « un prodige » d’« une gentillesse folle ».

« Ces types donnent une leçon. Ils ont en commun une exigence folle. Après, quand on voit des gens moyens prétentieux, on ne peut plus », explique Bertrand, qui a aussi joué avec Michel Legrand, Johnny Hallyday, Charles Aznavour, Michel Jonasz ou Cindy Lauper.

Pour Charles Kaye, directeur du WOP, Bertrand Cervera n’a rien à leur envier : « diamant rare parmi les meilleurs “Premiers violons” du monde, son talent et sa musicalité font écho à sa personnalité chaleureuse et son humanité », confie-t-il à l’AFP.

Le violoniste, marié à… une violoniste et père de quatre enfants, se voit plutôt comme « un artisan de la musique. Je veux créer un moment unique où on oublie tout, une bulle où on est tous ensemble, une émotion ».

Pour lui, « pas de hiérarchie musicale ». « Johnny Hallyday, sur scène, était comme un grand chef d’orchestre, électrisant ! »

Mais « dans une chanson de variété, il y a 3 accords. Il y en a 25 dans une mesure de Strauss, c’est cette richesse que j’ai envie de faire connaître ».

De cette volonté de démocratiser la musique classique est né en 2004 le festival Sorru in Musica où artistes nationaux et internationaux jouent gratuitement dans les villages corses pendant 10 jours fin juillet. Académie de musique et concerts toute l’année complètent l’aventure.

« Le vrai sens du festival, c’est de créer du lien », résume le musicien. « On va aussi dans les écoles, les maisons de retraite, les prisons, les foyers pour personnes handicapées, là, j’ai vraiment l’impression de faire mon métier. Ces gens-là ne peuvent pas venir aux concerts, donc, moi, je vais chez eux ».

Une approche qui a séduit le violoniste Iwao Furusawa, une vedette au Japon. « Ses idées, son jeu font qu’on tombe instantanément sous le charme de Bertrand », explique à l’AFP le musicien qui, en dehors de ses 150 concerts annuels japonais, ne joue qu’en Corse.