François Girard est à la barre du Vaisseau fantôme, un laboratoire de projections, de lumières et d’ombres qui donnera vie à l’équipage de damnés du Hollandais volant. « On est chez les zombies », n’hésite pas à dire le cinéaste et metteur en scène. C’est toutefois la poésie du récit, la fascination fatale de la jeune Senta pour un tableau qui trouve la plus grande résonance chez lui. Entrevue avec l’artiste qui met en scène son troisième opéra de Wagner.

Qu’est-ce qui vous interpelle dans l’œuvre de Wagner ?

D’abord, je suis fasciné par sa musique, puis par sa poésie. Wagner est dans les mythes et légendes, dans une poésie plus abstraite que le reste du répertoire. Ça me plaît particulièrement parce qu’il y a de la place pour la mise en scène, pour créer et pour inventer. Plus que dans le répertoire italien, qui me plaît bien, mais qui ne m’intéresse pas comme metteur en scène. Une chose que j’ai apprise avec Wagner, c’est qu’à l’intérieur d’une trame déterminée, on peut manipuler énormément la perception du temps et les contrastes émotifs. Il y a de la profondeur, de l’élévation musicale. On a vu des Wagner plates, mais on essaie de ne pas faire ça ! Le vaisseau fantôme est un opéra court, vivant, avec beaucoup de contrastes et de fougue. On passe deux heures et demie dans la tempête avec les fantômes. On s’applique à en faire une expérience sensorielle.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour cette mise en scène ?

À la base, il y a cette histoire d’une fille qui regarde un tableau tellement intensément qu’elle se fera avaler par lui, jusque dans la mort. Cette femme vit l’expérience picturale comme si c’était plus réel que le réel. C’est sûr que ça parle à un cinéaste, parce que c’est le propos du cinéma et de la peinture. Évidemment, l’œuvre est musicale, mais il y a une prémisse visuelle qui m’a intéressé dès le début et qu’on creuse. La mise en scène que vous verrez est un tableau.

Quels moyens avez-vous utilisés pour faire naître cette histoire ?

Un problème important à régler lorsqu’on monte Le vaisseau fantôme est la représentation du monde des fantômes. On est chez les zombies. Le caractère surnaturel du Hollandais est représenté par une immense ombre qui le suit, qui est la projection de ses mouvements. Il y a une proposition vidéo importante. Le scénographe John Macfarlane est à la fois un maître scénographe et un peintre. Tant au théâtre qu’à l’opéra ou au ballet, c’est le spécialiste des immenses peintures. Ça prendra vie dans un mélange de vidéo et de lumière. On a poussé le laboratoire, la proposition est très pointue.

Vous avez déjà créé une installation pour le Musée d’art contemporain de Montréal, en plus de faire carrière comme cinéaste et metteur en scène. Qu’est-ce qui relie ces pratiques pour vous ?

Pour moi, les arts visuels et la mise en scène se ressemblent. C’est un peu une installation qu’on présente pour Le vaisseau fantôme. Mettre en scène un paresseux au musée, une soprano à l’opéra ou un acteur au cinéma, c’est toujours le même métier.

Que demandez-vous aux interprètes dans ce grand tableau vivant ?

Pour la plupart, ils ont déjà chanté leur rôle. Wagner devient rapidement une spécialité. J’ai eu un Siegfried qui en était à sa 24e production ! Ils connaissent très bien leur chant, mais arrivent avec des bagages différents. Il s’agit d’harmoniser les niveaux de jeu, de développer les personnages, de trouver les gestuelles. On clarifie l’histoire. Il n’y a pas tellement de figures imposées. On trouve les façons de faire résonner la musique et le texte.

Vous retrouvez plusieurs concepteurs de Parsifal [opéra de Wagner que le metteur en scène a monté pour le Metropolitain Opera de New York], tout en travaillant avec de nouveaux interprètes. Comment ça se passe ?

Je ne connaissais pas les chanteurs avant de faire les répétitions, mais ils sont en train de devenir des amis. Il y a aussi de plus vieux amis, Carolyn [Choa, chorégraphe], David [Finn, aux éclairages], Peter [Flaherty, aux projections], Serge [Lamothe, dramaturge]. Ils habitent un peu partout dans le monde et on se retrouve dans des théâtres. C’est là qu’on vit notre amitié. Comme nous sommes dans la ville où j’ai grandi, c’est comme s’ils étaient venus de partout pour me visiter. Johanni van Oostrum, qui joue Senta, est incroyable. Elle connaît son rôle, elle est belle quand elle chante. Avec elle, on prend des décisions extrêmes. D’autres ont besoin de marques très précises. Certains ont besoin d’être retenus, d’autres ont besoin d’être stimulés, chaque fois c’est différent.

Pourquoi le thème de la représentation picturale vous touche-t-il personnellement ?

J’ai écrit le scénario d’un film que je n’ai pas tourné, qui ne parle que de ça. Dans une toile, il y a une histoire, dans une photo aussi. Et moi, je fais des films et je vis dans ces films-là. Pour le film que je viens de terminer [The Song of Names, qui sera présenté au Festival de Toronto], j’ai passé un an sur un plateau de tournage, dans une salle de montage, dans une salle de musique. Ces lieux-là deviennent plus réels que mon appartement, les personnages deviennent plus réels que mes amis. C’est mon univers. C’est un peu ça qui se produit quand on voit une pièce de théâtre ou un film réussi. On s’y projette.

Peut-on faire un lien entre ce sentiment et celui que vit le personnage de Senta, obsédée par le tableau qui montre le Hollandais ?

Si Wagner s’identifiait au Hollandais, l’âme incomprise qui parcourt le monde à la recherche d’une femme qui l’aimera passionnément sans poser de questions, moi, je m’identifie à Senta. Elle est dans une obsession picturale qui donnera vie à une réalité qui l’engouffre. Cette idée-là m’intéresse plus que les fantômes et les tempêtes, même si ces éléments permettent de créer un divertissement.

Que pouvez-vous nous dire sur The Song of Names, le film que vous venez de terminer ?

C’est un film avec Tim Roth et Clive Owen, tourné principalement à Budapest, qui raconte l’histoire de deux garçons pendant la Seconde Guerre mondiale. Je l’ai terminé deux jours avant d’arriver à Québec. C’est une coproduction Québec-Hongrie-Angleterre.

Ce sera votre sixième opéra. Y en aura-t-il d’autres ?

Je suis en train de travailler sur un septième, qui n’est pas encore annoncé. J’ai un autre Wagner dans le moulin. Plus ça avance, et plus je comprends son univers, plus je le décode.

Au Grand Théâtre de Québec les 28 et 30 juillet et les 1er et 3 août à 20 h, dans le cadre du Festival d’opéra de Québec