Il y a cinq ans, Salif Keïta disait déjà ne plus être motivé à faire des albums. Avec Un autre Blanc, il persiste et signe : ce sera son dernier. Il risque aussi de se faire plus rare sur scène après son passage en ouverture du festival Nuits d’Afrique.

Salif Keïta est fatigué. À presque 70 ans et après un demi-siècle de carrière — deux marques soulignées par une tournée internationale qui passe par Montréal —, la star malienne a visiblement envie de se la couler plus douce. Peut-être Salif Keïta a-t-il l’impression que le temps lui file entre les doigts. Après à peine 8 minutes d’entretien, il a déjà l’impression qu’on discute depuis 20 minutes et demande si on en a pour longtemps…

Impatient ? Pas une miette. On le sent plutôt las. Il parle de son plus récent disque, Un autre Blanc, depuis des mois. Il a réaffirmé ici et là que ce serait son dernier. Après cinq décennies de musique et une bonne douzaine d’albums solos, a-t-il l’impression d’avoir tout dit ? « Non, ce n’est pas ça, dit-il calmement. Ce n’est plus le moment de faire des albums. »

Les façons d’écouter et de consommer la musique ont changé, il le sait bien. Il trouve aussi « fatigant » de faire des disques — composer les musiques, trouver les bonnes mélodies, écrire des textes. À ses yeux, le jeu n’en vaut visiblement plus la chandelle. « Alors, c’est pour ça que, à mon âge, je dis que je ne ferai plus d’albums, précise-t-il. Je vais faire des morceaux isolés. » Idéalement en collaboration avec d’autres, comprend-on.

Et la scène ?

« Je ne vais pas l’abandonner [la scène]. Je ne vais pas faire de la tournée comme d’habitude parce que j’ai pris de l’âge et c’est fatigant aussi. Mais je vais faire de la scène. »

Le chanteur croit toutefois que, pour se produire en public, il lui faut amener quelque chose de neuf une fois de temps en temps. « On ne peut pas faire des spectacles toujours avec les mêmes chansons », dit-il.

En terrain connu

Avec Un autre Blanc, paru en octobre dernier, les fans du chanteur malien se retrouvent en terrain connu : Salif Keïta y mêle sa voix perchée avec des chœurs féminins et la couche sur des percussions et des mélodies que la kora ou la guitare puisent dans ses racines mandingues. Ici, il se fait plus pop. Là, un peu plus blues rock.

Colin Rigaud, responsable de la programmation de Nuits d’Afrique, se réjouissait d’avoir « une légende de la musique » pour le concert d’ouverture du festival. Son invité d’honneur, il est vrai, rayonne dans toute l’Afrique et dans une grande partie du monde depuis des décennies.

Chanteur vedette du groupe Les Ambassadeurs dès les années 70, il s’est révélé comme auteur-compositeur avec Mandjou, hommage au président guinéen Sékou Touré, qui a connu un succès considérable en 1978. Il a aussi été parmi les premiers à allier ses traditions musicales à une esthétique de production plus occidentale et il s’inscrit parmi les figures importantes de ce que, dans les années 80, on a appelé le « world beat ».

Le chanteur constate la diffusion accrue des musiques africaines et la reconnaissance de leur diversité depuis ses débuts dans un hôtel de Bamako, il y a 50 ans.

« Il n’y a pas de festival de musique dans le monde où il n’y a pas un Malien. »

Il n’a toutefois pas très envie de s’étendre sur ses propres innovations, se contentant d’affirmer qu’il s’est toujours senti libre de faire ce qu’il voulait et d’écrire ce qui lui chantait.

Avoir les coudées franches lui permet de jouer le rôle qu’il veut au sein de la société. « Je crois que la bouche d’une culture et d’un pays, ce sont ses artistes. Ce sont eux qui parlent à la place des gens », juge-t-il. Prendre la parole pour passer des messages, et surtout ne pas la laisser seulement aux politiciens, est presque un devoir, de son point de vue. « Il n’y a pas d’autre solution », dit-il.

Blanc et Noir

Un autre Blanc, le titre de son dernier disque, constitue d’ailleurs une prise de position. En tant qu’albinos, Salif Keïta « a le sang noir et la peau blanche », comme il le dit. Pourquoi le réaffirmer ainsi, à près de 70 ans ? « Je le dis aujourd’hui parce que je suis un combattant pour la vie et la survie des albinos », précise-t-il.

En Afrique, les albinos sont à risque de subir des agressions, de la torture et même d’être assassinés. Des croyances bien ancrées attribuent à leur différence des pouvoirs surnaturels et diverses propriétés de guérison. Le chanteur malien s’affiche depuis plus de 25 ans comme un défenseur des albinos. Son album Folon, paru en 1995, était d’ailleurs dédié aux enfants atteints de ce déficit de production de mélanine.

Salif Keïta constate que ceux qui assassinent des albinos ne le font désormais plus au grand jour. Mince amélioration. Il ne mise pas trop sur la justice pour prendre les choses en main et sait que le combat sera de longue haleine. « C’est culturel. Et quand c’est culturel, ça prend du temps avant d’en arriver à une solution adéquate », dit-il.

La fatigue qu’il ressent au sujet de sa carrière musicale n’altère toutefois pas sa détermination dans ce combat. « Je ne vais pas abandonner. »

Au MTelus jeudi soir, à 20 h 30, dans le cadre de Nuits d’Afrique