Six mois après la parution d’un superbe premier album sous son nom, Djely Tapa le transpose sur scène dans le cadre de Nuits d’Afrique. La chanteuse croisée au sein d’Afrikana Soul Sister veut bâtir un pont musical entre le passé et l’avenir.

« J’ai grandi dans une école de musique », dit Djely Tapa en souriant. L’affirmation est à prendre au pied de la lettre, ou presque : la chanteuse originaire du Mali a grandi dans une famille où toutes les femmes et tous les hommes chantaient, dansaient, racontaient des histoires et jouaient de la musique. Et ce, depuis des générations : Djely Tapa descend en fait d’une lignée de griots, nom donné aux dépositaires de la tradition orale dans plusieurs cultures d’Afrique de l’Ouest.

Cet héritage familial est sans doute l’une des raisons pour lesquelles tout, chez elle, paraît si naturel : le chant — elle possède une voix chaude, un brin rauque — comme la fusion des mélodies traditionnelles et de bidouillages électroniques. C’est dans ce grand écart esthétique, réalisé avec beaucoup de grâce et d’à-propos, qu’elle trouve à la fois du sens et son identité d’artiste africaine contemporaine.

Djely Tapa, remarquée au sein du groupe Afrikana Soul Sister, s’est installée au Québec pour faire des études en sciences. « Même pendant mes études, j’étais dans la musique », précise-t-elle, racontant avoir chanté dans des cérémonies « communautaires » marquant les moments importants de la vie : mariage, naissance, funérailles. « La communauté me rappelait toujours mon rôle de griotte de la place », explique la chanteuse.

Nos ancêtres ont trouvé, je pense, le moyen le plus simple pour favoriser la transmission de la culture : la musique, la danse, les chants, les contes.

Djely Tapa

Se contenter de porter fidèlement la tradition n’a jamais été une option pour l’artiste malienne. Sa mère, elle aussi chanteuse, lui avait ouvert la voie en l’incitant entre autres à toucher à un maximum d’univers et de styles. « Elle me disait que la musique traditionnelle n’est pas figée dans le temps, expose-t-elle, qu’elle est évolutive et que chaque génération devait trouver une façon de la faire vivre. »

Fusion d’identités

Ce qui a guidé Djely Tapa, c’est donc ça : s’appuyer sur ses racines tout en trouvant une manière de les propulser vers l’avenir. Avec le concours du réalisateur Afrotronix (Caleb Rimtobaye, du groupe H’Sao), elle a exploité les possibilités des nouvelles technologies. Future Tribe Art, morceau qui ouvre son album Barokan, donne le ton : voix trafiquée, pulsations et textures électroniques.

Rien n’est fait pour écorcher l’oreille : tout, ici, fusionne de manière organique. Rien ne se met non plus dans le chemin des mélodies berçantes jouées à la kora (harpe africaine) ni des séquences plus « bluesées » à la guitare électrique. Ce son, que la chanteuse décrit comme « afro-futuriste », flirte avec l’expérimentation tout en conservant une sensibilité pop et en demeurant intimement lié à la musique typiquement malienne.

Ce n’est pas un détail pour l’artiste, qui déteste les étiquettes fourre-tout comme « musique du monde » ou « afrobeat ». « C’est quoi, l’afrobeat ? Après le boum des Nigérians, ils nous ont accolé [à tous] cette étiquette-là. C’est ce qui est censé représenter l’Afrique : 54 pays, tout un continent », dit-elle calmement, mais fermement.

Chaque pays de cette Afrique-là est riche musicalement. Chacun a son identité. On ne peut pas nous imposer un beat.

Djely Tapa

Son audace et sa mesure ont été payantes : Barokan a été chaleureusement accueilli à sa sortie, au mois de janvier. Djely Tapa a même, dans la foulée, été sacrée « révélation » par Radio-Canada, distinction qu’elle a accueillie comme un « gros câlin ». « On souhaite toujours que les gens aiment notre travail, mais je n’avais pas d’attentes, assure-t-elle. Si c’est bien reçu, tant mieux. Si ce n’est pas bien reçu, ça ne me décourage pas pantoute ! »

Djely Tapa a trouvé sa voix, elle donne « ce qu’elle a à donner ». Elle s’affiche sur scène avec ses mélodies et aussi les marques de son peuple d’origine, les Bambaras de Kaarta. « Pour montrer que mon identité, elle est sur moi, pas seulement sur papier, dit-elle. Mon origine, mes valeurs, c’est sur moi que je les porte. L’important, ce n’est pas où nous sommes nés, c’est l’identité qui nous habite. »

Au Ministère le 16 juillet, 20 h, dans le cadre de Nuits d’Afrique