Voilà l’objet de ce concert présenté samedi à guichets fermés à la Cinquième Salle de la Place des Arts : le 6 mars 1963, la matière de Both Directions at Once : The Lost Album fut enregistrée au Studio Van Gelder, New Jersey, par le quatuor mythique du saxophoniste John Coltrane.

Autour du prophétique ténorman, le contrebassiste Jimmy Garrison, le batteur Elvin Jones et le pianiste McCoy Tyner. Cet album fut le troisième enregistré par Coltrane cette année-là – on compte le fameux Impressions, dont le thème principal figure d’ailleurs sur l’album ressuscité dont il est ici question.

Pour réduire l’espace de stockage, Impulse ! Records avait détruit la bande principale, décision parfaitement ridicule… et on avait conclu à une perte totale pendant des décennies. On se rendit compte finalement que les enregistrement avaient survécu grâce à la découverte d’une copie intacte du « master » ; Coltrane l’avait laissée traîner chez sa première épouse, Juanita Naima – qu’il avait quittée pour Alice, mère de Ravi Coltrane.

La fameuse bande fut récupérée en 2005 et, plus récemment Ken Drucker (ex-Montréalais transplanté à New York) procéda à sa restauration aux côtés de fiston Ravi. En tout, sept pièces et sept autres prises de ces mêmes pièces ont été rendues publiques il y a un an. Toutes les pistes de cet album étaient inédites, à l’exception du standard Vilia (Franz Lehár). Au menu, donc, des thèmes inconnus, la magnifique ballade Nature Boy et la reprise d’Impressions.

Ainsi, le saxophoniste Yannick Rieu, ténor et soprano (comme Coltrane), a entrepris de reprendre cette matière en quartette montréalais : Jean-Michel Pilc au piano, Rémi-Jean LeBlanc à la contrebasse, André White à la batterie.

Heureusement, ces musiciens ne sont pas des copy cats du célébrissime quartette. Il n’était donc aucunement question d’en reproduire le son et le jeu.

On se souviendra néanmoins que Yannick Rieu était plus coltranien à ses débuts professionnels, mais sa recherche de timbre l’a mené ailleurs depuis longtemps. Jean-Michel Pilc, lui, est totalement différent de McCoy Tyner ; superbe virtuose, improvisateur d’une totale liberté, le musicien français (établi désormais dans notre île après avoir vécu plusieurs années aux USA) nous invite à un monde extrêmement personnel, assorti d’une grande écoute de ses collègues en temps réel.

Quant à la section rythmique, on dira d’André White qu’il ne joue pas comme Elvin Jones mais qu’il manifeste une connaissance profonde de la batterie telle que jouée à l’époque de l’enregistrement originel, et on dira de Rémi-Jean LeBlanc que son jeu de contrebassse ne cesse de se bonifier.

Libre et brillante relecture, donc, avec un standard popularisé par le ténorman Coleman Hawkins au rappel : Body & Soul.