Jean-Pierre Ferland a 85 ans aujourd’hui. Celui qui a si souvent célébré son anniversaire sur scène lors de spectacles de la Saint-Jean-Baptiste (notamment celui de 1975 sur la montagne) accepte de regarder dans le rétroviseur avec la « coolitude » qui l’a toujours si bien caractérisé.

« Je n’ai pas vu ma vie passer ! J’ai été chanceux, j’ai été gâté. Je fais un métier tellement extraordinaire. »

S’il accepte de revenir sur ses débuts, c’est pour le faire avec beaucoup d’autodérision, question de faire fuir le sérieux. « Quand j’ai commencé à Radio-Canada, on m’appelait le “faiseux de skédules”. Je préparais les horaires des annonceurs, ceux de François Bertrand, Jean-Maurice Bailly, René Lecavalier, Jean-Paul Nolet, Pierre Paquette, Jean Mathieu… Ils sont tous devenus mes amis. C’est eux qui m’ont cultivé. »

À la fin des années 50, Pierre Nadeau et Richard Garneau présentent une émission de radio consacrée à la chanson française qui s’appelle La Gambille. C’est ainsi que Ferland découvre Brassens, Bécaud et Aznavour. « J’ai commencé à écouter ces artistes, à voir comment ils écrivaient leurs chansons. »

Le jeune Ferland va se gaver de cette nourriture qu’on lui offre sur un plateau d’argent. 

Chez nous, il n’y avait pas de culture, pas un livre, pas un disque. Ma mère n’aimait pas Félix Leclerc. C’est pour te dire.

Jean-Pierre Ferland

Ferland devient annonceur à son tour. Et le soir, il gratte sa guitare. Il apprend deux accords, puis trois. Les premiers vers apparaissent. Un patron de Radio-Canada l’aide à faire un choix. « Il m’a dit : “Vous avez du talent comme chanteur, mais comme annonceur, vous êtes plutôt mauvais.” »

Les premières chansons naissent : Feignez de dormir, Avant de m’assagir, Les fleurs de macadam, Les immortelles… Puis un matin, à la radio, il entend le grand Félix interpréter Ton visage.

« Tu sais, quand tu commences ta carrière et que Félix Leclerc enregistre une de tes chansons, c’est énorme. En plus, il ne me l’avait pas dit. Pour moi, ce fut une sorte de consécration. »

Ferland plie bagage et traverse l’Atlantique pour tenter sa chance en France. Il monte un tour de chant composé des chansons de ses premiers disques, dont Feuille de gui, qui lui a fait gagner en 1962 le concours international Chansons sur mesure, à Bruxelles. Un soir qu’il chante à Bobino, il conclut comme il se doit la chanson.

« Dites-moi comment, mère

Écrit-on le mot paix ? »

« Et là, dans le fond de la salle, y’a un spectateur qui se lève et qui crie : “P-E-T”. Des spectateurs ont ri. J’ai pris mon courage à deux mains et je me suis dit qu’il fallait que je poursuive mon tour de chant comme si de rien n’était. Mais la chanson qui suivait commençait ainsi : “Je sens encore ma main…” La salle au complet a croulé de rire. J’ai dû sortir de scène », raconte-t-il en riant aux éclats.

Cette vie qu’il n’a pas vue passer s’écoule doucement depuis qu’il a annoncé son retrait de la scène lors d’une grande tournée d’adieu en 2006 et 2007, entrecoupée par un AVC. Mais bon, couper complètement les ponts avec un métier pratiqué avec passion pendant près de 60 ans est difficilement faisable. C’est pourquoi Jean-Pierre Ferland s’offre de temps en temps de petites visites sur scène. On le verra par exemple à la Fête de la musique de Tremblant comme invité d’Angèle Dubeau, le 1er septembre.

Cette vie qu’il n’a pas vue passer lui inspire depuis quelques mois des chansons en vue d’un prochain disque. 

Arrive un moment, pour un artiste comme moi, où il faut oublier ses anciennes chansons. C’est ce que je tente de faire actuellement. Être moderne sans tromper personne, sans injurier ses anciens trésors, c’est ce que j’essaye de faire.

Jean-Pierre Ferland

Il se met alors à me parler de ses deux amis (Patricia Paquin et Mathieu Gratton) qui ont un enfant autiste. « Ils m’ont demandé d’écrire une chanson sur le sujet de l’autisme. Il a fallu que je me mette dans la tête de quelqu’un qui vit cela. Ce texte m’a demandé beaucoup de travail. »

Sur une musique d’André Leclerc, l’amoureux de sa fille, Jean-Pierre Ferland a écrit Le monde de Benjamin. Comme pour toutes les autres chansons qu’il a écrites, il a d’abord rédigé une seule phrase. C’est cette phrase qui a guidé le compositeur.

« Prenez-moi dans vos bras / Écoutez-moi chanter / Mais ne me plaignez pas / Je ne sais plus pleurer… »

La chanson, enregistrée pour les besoins d’une maquette, monte dans le salon où nous sommes. Les frissons suivent. Des mots découpés façon origami. Du grand Ferland !

« Quand j’ai fait entendre la chanson à mes amis, j’ai dit à Benjamin : “N’oublie pas que c’est pour toi !” Il a poussé un cri… C’était tellement puissant… » Ferland souhaite que les droits de cette chanson servent à la cause de l’autisme.

Jean-Pierre Ferland enregistre 85 étés au compteur. Et autant de fêtes de la Saint-Jean. Souhaitons que, ce soir, un feu brille juste pour lui !