L’idée de remettre les Négresses Vertes sur la route trottait dans la tête de Stéfane Mellino et de ses vieux copains depuis un moment. La réédition des disques du groupe et les 30 ans de Mlah, son album fondateur, ont donné l’impulsion qui manquait. Les revoilà au Québec par la grande porte, la principale scène extérieure des Francos, avec ses immortelles Voilà l’été et Zobi la mouche ! 

Pourquoi l’envie de ce retour sur scène n’est pas venue de l’intérieur ?

On a beau avoir la volonté, à un moment donné, il faut avoir les moyens, moyens dont le groupe ne disposait plus. Remettre tout le monde sur scène, assurer le booking et les salaires – même si nos salaires sont tout à fait décents –, assurer la partie promotionnelle du travail, tout ça, il faut le faire avec des professionnels. On en avait envie depuis quelques années, on ne s’était jamais perdus de vue. Le fait de célébrer les 30 ans d’un premier album nous a semblé une occasion suffisamment valable, plutôt que de faire un retour pour faire un retour…

Comment avez-vous donné un sens à votre retour ?

On a d’abord voulu voir si le courant passait encore entre nous, si la flamme brûlait encore. On s’est rendu compte que la magie de notre fraternité était vraiment contenue dans l’énergie de ces chansons-là. Elles sont le ciment de notre amitié et de notre aventure musicale. On a fait un retour par les petits clubs, pour retrouver une frange du public qui ne nous avait jamais oubliés. On est revenus par la petite porte. On n’a pas dit : « Attention, les Négresses se reforment, ça va être la grosse armada ! » On s’est lancés dans une tournée de 40 dates et, maintenant, on en a 120. C’est vraiment porté par l’élan populaire et le bouche-à-oreille. Les mêmes ingrédients qui fonctionnaient à l’époque.

Il y a une part de nostalgie, de la part du public, dans le fait de renouer avec vos chansons. Comme créateur, y en a-t-il aussi ?

Aucune nostalgie. Quand on joue les chansons, c’est comme si on les avait faites hier. Et ce n’est pas comme si on était en fauteuil roulant et qu’on chantonnait nos chansons. Les chansons, elles marchent si tu vas chercher l’énergie qui leur est nécessaire. Pas autrement. C’est exigeant, mais on a l’expérience. Par moment, sur scène, nos regards se croisent, et on a ce sentiment que 30 années ont passé, qu’on le sait, mais que ça ne paraît pas. C’est une émotion vraiment spéciale.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus ? Retrouver ces gens, ces chansons, le public ?

Tout ça. Et ce retour est aussi une façon de faire revivre notre chanteur Helno [mort d’une surdose, en 1993], de voir que sa poésie continue d’exister. C’est aussi un hommage qu’on lui rend. C’est aussi une façon de montrer qu’à une autre époque, la musique se faisait différemment. De nos jours, beaucoup de groupes arrivent avec une clé USB et, pendant le concert, prennent leur téléphone et filment… Nous, ce n’est pas du tout ça. Si on prend une guitare, elle ne joue pas toute seule. On est vraiment dans une exécution d’une autre époque, on va dire.

Je me souviens comme si c’était hier des concerts au Spectrum. On ne pensait pas jouer deux soirs de suite dans une salle aussi grande et que ce serait aussi plein. On ne pensait pas trouver un auditoire aussi grand au Québec. C’était pour nous une surprise totale et un vrai bonheur !

Stéfane Mellino, membre des Négresses Vertes

De l’extérieur, on voit à qui Les Négresses Vertes ont ouvert la voie : Zebda, Tryo et autres Têtes Raides. Pas dans le son, mais dans l’esprit. Le remarquez-vous aussi ?

On l’a vu, on l’a lu. On voit qu’on a semé des graines, mais c’est plus dans l’esprit, oui, que dans l’exécution musicale. Je crois que notre mélange est unique. Ce qui ne veut pas dire que le leur est moins bien ; c’est autre chose. Le côté tribu, le côté acoustique et chanson, tout ça, c’est vrai qu’on a fait des petits, et on en est très fiers. C’est flatteur. Aussi, depuis 30 ans, chaque été, on entend [la chanson] Voilà l’été. C’est insensé quand on repense au jour où on l’a enregistrée… C’est flatteur d’avoir des chansons qui font partie du patrimoine.

Est-il question que ce retour dure au-delà de cette tournée ?

Je pense que oui. Il n’a pas été question d’écrire de nouvelles chansons, par contre. Les Négresses, c’est toujours notre présent, mais c’est aussi notre passé. Mais on rencontre d’autres artistes très intéressants, notamment de plus jeunes, et l’idée de parcourir notre répertoire sur un album de collaborations a effleuré nos esprits. L’album qui nous a fondé est en train de nous refonder, alors pourquoi ne pas ouvrir et prolonger l’histoire ? Avec cette idée-là ou une autre. On va voir ce que ça donne. On ne s’est jamais dit : si on a du succès, il faut surfer dessus. On reste humbles. On laisse venir les choses.

Les Négresses Vertes, jeudi à 21 h, sur la scène Bell