The National ? « Oh, c’est juste cinq gars avec leurs guitares. » Le commentaire ne vient pas de nous, mais bien de Bryce Dessner, l’un des cinq gars en question. Sauf qu’avec le nouvel album du groupe, I Am Easy to Find, la remarque ne tient plus.

The National, c’est surtout la voix grave de Matt Berninger, souvent comparée à celle de Leonard Cohen.

Sauf que la voix de The National, ce n’est plus que celle de Berninger.

C’est aussi celle de Sharon Van Etten. Et d’Eve Owen (fille de Clive). Et de Lisa Hannigan. Celle de toutes ces femmes venues accompagner le groupe originaire de Cincinnati, né il y a deux décennies, sur leur huitième opus, I Am Easy to Find.

« Certains admirateurs sont déroutés, lance d’emblée le compositeur et guitariste Bryce Dessner. Sur ce disque, il y a des chœurs, des chansons de cinq minutes, des interludes instrumentaux. On sonne encore comme nous-mêmes, mais… »

PHOTO WINSLOW TOWNSON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le guitariste Bryce Dessner

Mais. Au micro, Matt-le-chanteur cède la plupart du temps la place à d’autres. Tandis que, dans les textes, Matt-le-parolier a laissé énormément d’espace à sa femme, Carin Besser. Peut-être signe de l’époque, Dessner nous précise au passage que la présence des voix féminines se chiffre « à 50 % ».

I Am Easy to Find a facilement été qualifié d’album le plus ambitieux de la formation indie-rock. Pourtant, il a bien failli ne jamais voir le jour. 

Nous avons vieilli. Nous avons nos vies. Nous étions épuisés.

Le guitariste Bryce Dessner

Il a fallu que Mike Mills les pousse un peu. Mills est un fan du groupe. Il est également cinéaste. En 2017, il a même été nommé à l’Oscar du meilleur scénario original pour son film 20th Century Women.

Mike est donc venu voir The National en disant : « Hé, les gars, j’adorerais faire un projet avec vous. » Il avait un texte en main. « Enfin, plutôt des images. De la poésie, précise Bryce. Des mots racontant l’évolution de la vie d’une jeune femme. »

Soudain motivés, les musiciens s’en sont inspirés pour créer des chansons, les mots de Mike s’infiltrant dans des pièces telles Dust Swirls in Strange Light ou Where Is Her Head.

À l’inverse, les pièces composées par le groupe ont influencé le cinéaste, qui a tourné un court métrage portant le même titre que le disque, I Am Easy to Find. Un film expérimental hanté dans lequel l’actrice oscarisée Alicia Vikander joue la jeune femme mentionnée plus haut.

Et Bryce Dessner, lui, a été heureux de jouer le jeu. « Le changement de garde a amené du positif. De l’optimisme. Habituellement, quand nous enregistrons, c’est intense, c’est excitant, mais c’est aussi très sombre. » Et cette fois ? « Je peux juste dire que c’était… le fun. »

Comme au cinéma

S’il confie lui-même qu’au fil du temps, certains critiques ont qualifié son groupe de monotone, Bryce Dessner est tout sauf ça.

En 2014, le compositeur formé en musique classique à Yale lançait St. Carolyn by the Sea/Suite from « There Will Be Blood ». Un album crée de concert avec Jonny Greenwood, de Radiohead, paru sur la renommée étiquette Deutsche Grammophon. Il y a deux mois, Dessner a fait paraître El Chan, nouveau disque de pièces classiques composées pour les pianistes françaises (et sœurs) Katia et Marielle Labèque.

Le paysage en noir et blanc de la pochette d’El Chan est de ceux qui attirent l’attention. Normal : c’est le cinéaste mexicain Alejandro González Iñárritu qui a pris la photo. D’ailleurs, l’album lui est dédié.

Le récit derrière le tout ? Il y a quelques années, Iñárritu avait assisté à la représentation d’une composition orchestrale de Dessner au Walt Disney Concert Hall. Épaté, il l’avait appelé. Et lui a dit : « Je veux juste que tu fasses pour mon film ce que tu viens de faire pour le Los Angeles Philharmonic. »

Le film en question, c’était The Revenant. Et c’est ainsi que Bryce Dessner a eu pour mission d’imaginer la musique rythmant l’épopée sauvage de Leonardo DiCaprio. Pour ce faire, il était accompagné d’experts du genre, à savoir Alva Noto et le grand maître japonais des bandes originales de film Ryuichi Sakamoto. « J’étais de toute évidence le débutant ! », s’amuse-t-il.

C’était une grosse production, mais nous n’avons fait aucun compromis. C’était plus avant-gardiste que la plus avant-gardiste des expériences.

Bryce Dessner, au sujet de son expérience sur The Revenant

Il avait beau faire ses premières armes en musique de film, il a vite appris. La preuve : on lui a demandé de composer la musique pour The Pope, nouveau long métrage de Fernando Meirelles qui sortira sous peu sur Netflix. Vous savez, le réalisateur brésilien du film culte City of God ? « J’ai eu la chance d’enregistrer des passages de la bande sonore avec la London Contemporary Orchestra aux studios Abbey Road », raconte-t-il, encore émerveillé, nullement blasé. « Et le film est superbe. C’est un dialogue philosophique, théologique, magnifique. »

Ce qu’il trouve magnifique, lui, c’est de combiner sa passion du rock et du classique, de voir que les admirateurs de la première heure du groupe indie auquel il s’est joint en 1999, sans penser que rien vraiment n’en sortirait, le suivent encore. Ça l’émeut réellement. « C’est encourageant que les gens écoutent encore The National. Même si le groupe a changé. »

À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts le 21 juin, à 19 h 45