Quand l’auteure-compositrice-interprète belge Angèle est arrivée à Montréal, il y a quelques jours, son agente lui a fait remarquer qu’il serait agréable d’être « un peu moins connue » qu’en Belgique et en France. Le mirage de l’anonymat s’est vite dissipé. Au Québec aussi, la nouvelle vedette pop de la francophonie se fait arrêter dans la rue, entend sa musique dans les boutiques et fait salle comble. La Presse l’a rencontrée deux jours avant son concert de ce soir au MTELUS.

« Pour moi, devenir chanteuse, c’était hors de question », raconte Angèle. Au troisième étage de la maison du Festival, au cœur de Montréal, l’artiste explique qu’avoir grandi avec un père chanteur (Marka, bien connu en Belgique) lui a donné envie de ne surtout pas marcher dans ses pas.

Et pourtant… Le premier album d’Angèle, Brol, sorti en mars dernier, a été certifié disque de platine deux mois après sa sortie. Le vidéoclip de sa chanson Balance ton quoi compte 27 millions de vues depuis la mi-avril. La trentaine de spectacles qu’elle a donnés en Europe depuis l’hiver dernier ont tous affiché complet. Et la deuxième série de concerts de la tournée, cette année, affiche déjà une vingtaine de dates à guichets fermés. Tous les billets pour ses deux prestations au Québec, à l’Impérial Bell de la capitale et au MTELUS, à Montréal, se sont envolés.

Bref, la révélation de l’année aux dernières Victoires de la musique (le pendant français du gala de l’ADISQ) conquiert tout sur son passage.

Lutter contre son destin

Toutefois, une carrière dans la chanson n’avait rien d’une évidence. Angèle a lutté contre son destin musical. Elle était aux premières loges pour constater combien le métier est « dur et éprouvant ». Son frère aussi, le rappeur Roméo Elvis, est dans le milieu. Un sentiment de rébellion la poussait également à ne pas vouloir faire comme ses parents (sa mère, l’humoriste Laurence Bibot, chante également). 

Ce serait plutôt le piano. Angèle s’est lancée dans des études de jazz. Mais vite, elle s’est « essoufflée ». « Ça ne me satisfaisait pas. Pas autant que de chanter, déclare-t-elle. Je jouais et j’avais envie de chanter. »

Elle s’est mise à composer des chansons. Elle les publiait sur son compte Instagram, entre deux vidéos rigolotes (Angèle n’a pas peur du ridicule) et quelques reprises. Finalement, cette carrière de chanteuse, « c’est devenu une évidence », dit la Belge de 23 ans, de sa voix délicate.

S’engager

Chanter, oui, mais chanter quoi ? « Au début, il fallait que je chante pour moi, affirme Angèle, entre deux gorgées dans une tasse Starbucks, ses grands yeux noisette très expressifs. Les premiers textes que j’ai écrits, quand j’étais adolescente, ne racontaient rien de spécial. » Plus tard, l’auteure-compositrice s’est intéressée aux mots des chansons. 

Je me suis rendu compte qu’on pouvait raconter plusieurs histoires : avec la voix, le piano et les paroles.

Angèle

En écrivant les refrains qui formeraient Brol, petit à petit, Angèle a touché des sujets plus sensibles, a pris position.

La création de l’énorme succès Balance ton quoi a été la confirmation d’une prise de parole plus engagée. La chanson est un véritable hymne féministe et antisexiste, dont le titre est une paraphrase de #balancetonporc, l’équivalent du #moiaussi.

Au moment de l’écrire, « je me rendais bien compte que je me lançais dans un sujet que je maîtrisais beaucoup moins, parce que je ne pouvais parler qu’à titre personnel », révèle la chanteuse. À l’époque, le sujet l’interpelle, mais elle n’en sait pas beaucoup sur le féminisme. « Le sexisme est un sujet presque politique. Ça demandait de s’informer et ce n’est pas quelque chose que j’ai fait tout de suite. »

Quand est venu le moment d’accompagner la chanson d’un vidéoclip, elle a fait appel à Charlotte Abramow, son amie et réalisatrice, avec qui elle avait déjà collaboré. Avec Abramow et une autre amie, Ophélie, qui la maquille, Angèle discute féminisme. Elle réalise que le sien, « en tant que femme blanche, blonde et plutôt aisée, n’était ni inclusif ni intersectionnel ». Elle en apprend beaucoup, ce qui l’aide à mieux assumer son message.

Cela lui donne même une motivation supplémentaire. « Je me suis rendu compte que, malheureusement, ma couleur de peau et mon physique me donnent une visibilité plus grande que celle d’autres femmes, dit-elle. Il faut que je m’en serve pour faire passer des messages qui ne me concernent pas tous directement. »

La pression de réussir

Prendre la parole a un prix, surtout quand on est une femme. « Quand le clip de Balance ton quoi est sorti, j’ai reçu une vague de haine », raconte-t-elle. Angèle est devenue « une artiste qui peut fâcher ».

Elle ne va plus sur Twitter. Les insultes, les menaces, « c’était devenu trop violent ». 

Je me suis sentie en danger, au début, mais j’ai compris que si tant de personnes pensent comme ça, c’est qu’il faut continuer d’en parler.

Angèle, en parlant des commentaires haineux reçus après la sortie de son clip Balance ton quoi

Les réseaux sociaux n’ont pas que du mauvais. Ils ont contribué à la faire connaître, dès 2016. Son ascension fulgurante, propre à notre ère, a vraiment débuté en 2017, après la sortie de son premier simple. Très vite, elle est devenue une figure incontournable de la scène francophone.

Dans sa pièce Flou, qu’elle a écrite l’été dernier (un peu avant d’assurer la première partie d’Hubert Lenoir aux Francos), elle parle de l’angoisse et de la pression face à cette popularité instantanée. Son album n’était pas encore sorti que, déjà, les attentes l’ont écrasée. 

Mais si elle « subissait » sa notoriété au début, ça va maintenant beaucoup mieux. « C’est de plus en plus cool, confie Angèle, sourire aux lèvres. Vu la façon dont l’album est reçu, en Belgique, en France et même jusqu’ici, au Québec, je me rends compte que je n’ai plus rien à prouver. »

Les « brols »

Mi-engagé, mi-humoristique, Brol, le premier opus d’Angèle, a reçu un très bel accueil, marquant le point d’orgue de son ascension. Le « brol », c’est le désordre, explique Angèle. « C’est plein d’objets familiers, des encombrants. » 

« C’est un mot très belge, que j’utilise beaucoup », affirme l’artiste. Deux des raisons pour lesquelles elle a voulu en faire le nom de son album. Aussi parce que plusieurs sujets qu’elle aborde (jalousie, paresse, mauvaise fortune…) sont un peu ses « brols » à elle. En les mettant en chansons, elle a voulu s’en débarrasser.

Angèle est en spectacle dimanche, au MTELUS, à 21 h.