(Paris) La route sur un soleil couchant, les grands espaces, l’attente sur un quai de gare, un vieil acteur de western... Bruce Springsteen, nostalgique et inspiré par la country-pop californienne des années 60-70, fait un retour aventureux, mais inégal, avec Western Stars.

L’appel de la Californie a sonné plusieurs fois dans la vie du Boss. Alors jeune leader du groupe Steel Mill, qui comptait trois futurs membres de son E Street Band (Steven Van Zandt, Vini Lopez,  Danny Federici), il avait tenté de percer hors du New Jersey entre 1969 et 1971, persuadé que son rock mâtiné de rythm’n blues serait mieux compris dans le Golden State.

En 1972, il écrit une chanson, California, où ses parents avaient élu domicile un an plus tôt. Lui même s’y est installé et s’y est marié en 1991 avec la guitariste Patti Sciaffa, avant d’y enregistrer son grand album sur l’Amérique désœuvrée, The Ghost of Tom Joad (1995).

Western Stars, dans les bacs vendredi, fait office de madeleine de Proust pour l’artiste de 69 ans qui trouve là l’occasion de replonger dans sa post-adolescence bercée aux succès de Glen Campbell, Burt Bacharach, Roy Orbison ou encore Harry Nilsson.

C’est d’ailleurs à ce dernier et son Everybody’s Talking qu’on pense immédiatement à l’écoute du premier single Hello Sunshine. Comme un écho à cette ballade, le ton de l’album est particulièrement mélancolique. Springsteen chante une époque dorée de l’Amérique dont les vestiges s’ensevelissent peu à peu sous le sable californien.

À cet égard, un étonnant parallèle peut être dressé avec Once Upon a Time… in Hollywood, de Quentin Tarantino qui sort cet été. Présenté au Festival de Cannes où il concourrait pour la Palme d’or, le film se situe à Hollywood en 1969 en plein mouvement hippie et suit les pérégrinations d’un acteur de westerns pour la télévision (Leonardo DiCaprio) et de sa doublure-cascades (Brad Pitt) au sein d’une industrie qu’ils ne reconnaissent plus.

Arrangements soignés

La chanson-titre Western Stars, perle rare du disque, met en scène un de ces acteurs de seconde zone, tombé comme tant d’autres dans l’oubli et qui noie son désespoir dans l’alcool. Deux pistes plus loin, Drive Fast évoque un cascadeur de films de séries B pour qui la vie cabossée se résume à conduire vite et tomber lourdement.

Là où Tarantino délivre son film le plus personnel, Springsteen se raconte moins qu’il ne raconte ce qui l’a longtemps fasciné. La démarche est tout aussi sincère et empreinte d’une certaine tristesse.

Une des raisons à cela tient au fait que ces chansons ont été écrites et enregistrées il y a plus de deux ans, alors qu’il traversait une période d’introspection ayant nourri son autobiographie Born to Run. Un livre dans lequel il racontait notamment ses rapports difficiles avec son père, la dépression chronique dont il a longtemps souffert et qui lui a inspiré le spectacle intimiste qui a triomphé à Broadway en 2018.

Enregistré dans son studio du New Jersey, Western Stars bénéficie d’arrangements soignés avec une déferlante de cordes et de cuivres, rappelant les productions de Phil Spector, qui confèrent à ses chansons des atours tantôt lumineux tantôt crépusculaires.

C’est quand il opte pour un minimum d’effet, comme pour Western Stars, que le disque touche à son meilleur avec Somewhere North of Nashville, sur lequel plane l’ombre de Bob Dylan ou Hitch Hickin’. A contrario, d’autres titres comme Sleepy Joe’s Café, Stones ou There Goes my Miracle sont des sucreries bien plus délicates à digérer.

Au final, la réussite de l’entreprise n’est pas totale, mais au moins le Boss a-t-il tenté quelque chose avec cet objet qui tient une place à part dans sa discographie.

À présent, ses admirateurs regardent déjà vers 2020 qui le verra revenir en tournée, vraisemblablement une dernière fois avec le E Street Band, dans le sillage d’un album qu’il doit mettre en boîte cet automne.