Dans moins d’une semaine, Loud deviendra le premier rappeur québécois à donner un spectacle au Centre Bell. Un véritable événement, d’autant plus que pour la majorité des artistes d’ici, « faire » le Centre Bell représente autant un accomplissement qu’un défi.

« Ce qu’on voulait, c’est être les premiers, les plus forts, les plus gros. On est humblement cocky. »

L’agent de Loud, Carlos Munoz, ne s’en cache pas : les spectacles que son artiste donnera le 31 mai et le 1er juin au Centre Bell sont « presque uniquement un statement ». Une manière d’affirmer qu’après le MTelus, les plaines d’Abraham et les tournées québécoises et européennes, Loud a franchi une nouvelle étape en se produisant dans le plus gros amphithéâtre du Québec.

« Si on s’était penché sur la chose au niveau financier, on ne l’aurait jamais fait », admet Carlos Munoz. De plus, l’ampleur de la tâche est considérable : les coûts, la promo, les détails à régler, le personnel, tout doit être multiplié. « On parle d’une centaine de techniciens, alors que d’habitude, on est sept ou huit en tout, même pour une grosse production », dit-il.

Plus gros

« C’est plus gros qu’on pensait » : directrice principale de l’Agence evenko depuis 12 ans, Valérie Hamel a entendu cette phrase presque chaque fois qu’un artiste québécois s’est produit au Centre Bell.

« Quand les équipes viennent nous voir une première fois, on leur rappelle toujours qu’ici, c’est un aréna. Une patinoire avec des bandes, sans système de son ni éclairage. Les artistes sont habitués de donner leur devis, du genre : “Voici, je m’en viens jouer à L’Étoile et voici ce dont j’ai besoin.” Mais ici, il faut qu’ils s’arrangent et qu’ils apportent tout. »

Son rôle est donc de les épauler et de les conseiller. « evenko partage le risque, comme un promoteur, alors tout le monde met la main à la pâte. » C’est donc ensemble qu’ils prennent les décisions, comme la configuration – qui peut varier de 3500 à 21 000 places, mais dont la moyenne, pour un artiste québécois, oscille entre 7000 et 9000 –, la dimension de la scène ou le nombre de représentations.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Loud se produira au Centre Bell le 31 mai et le 1er juin.

« Dans le cas de Loud, on a mis un de nos directeurs techniques dans leur équipe », explique Valérie Hamel, qui a constaté au cours des années que le Centre Bell représente un « réel engagement » pour les artistes, mais que le jeu en vaut la chandelle. « Pas dans le but de faire de l’argent, mais pour la notoriété et pour ce que ça représente. »

Investissement

L’investissement est d’autant plus grand que c’est en général un spectacle unique. « Ils vont travailler très fort pour une ou deux représentations, souligne Valérie Hamel. Ce n’est pas comme les artistes internationaux qui sont rodés et qui vont faire 50 dates du même spectacle. »

Faire le Centre Bell reste cependant un objectif, la plupart du temps lointain et plus ou moins réaliste, pour bien des artistes. « On écoutait les disques de Beau Dommage au Forum, et c’était comme un rêve inaccessible », se souvient Jean-François Pauzé des Cowboys Fringants, qui ont fait leur premier Centre Bell en 2003.

Marie-Mai est la championne incontestée des Centre Bell – elle en a fait 15 en solo, et une vingtaine d’autres dans des spectacles collectifs, avec La voix, Star Académie ou comme invitée spéciale.

« Que ça fasse une fois ou cinq ou trente, le feeling est toujours le même, parce que cette salle est une référence. » — Marie-Mai

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Mai est la championne incontestée des Centre Bell – elle en a fait 15 en solo, et une vingtaine d’autres dans des spectacles collectifs, avec La voix, Star Académie ou comme invitée spéciale.

La chanteuse se souvient d’avoir pleuré de joie, de stress et d’anxiété dans les heures précédant son premier spectacle solo. « C’était comme un rêve devenu réalité. C’était une grosse, grosse coche. »

« Je vois ça comme un accomplissement », affirme pour sa part Marc Dupré, qui s’est produit devant 25 000 personnes lors de ses deux premiers spectacles au Centre Bell il y a trois ans. 

« C’est tellement grand, c’est un rêve que tu as, mais tu te dis que ça ne peut pas t’arriver à toi. » Le chanteur observe d’ailleurs le parcours de Loud avec émotion.

« Ils sont en train de créer quelque chose de fort et c’est beau. J’ai vécu ça de la même façon. Moi aussi, je me suis battu contre des préjugés. C’est exceptionnel, ce qu’il va vivre, parce qu’il y a un cheminement derrière. » — Marc Dupré, à propos des spectacles de Loud au Centre Bell

Mais Loud ne se met-il pas trop de pression ? On imagine le sourire de Marie-Mai à l’autre bout du fil.

« Welcome to the game ! La pression, il faut s’en servir comme moteur. Les gens qui se déplacent, ce sont les fans. Et Loud, il en a, des fans. S’il fait ce show-là pour eux, s’il se rappelle pourquoi il a le privilège de chanter dans cette salle, il a la clé dans ses mains. »

Valeur ajoutée

De Gregory Charles à Roch Voisine en passant par Michel Louvain et Marie-Élaine Thibert, la liste des artistes québécois qui se sont produits au Centre Bell depuis le milieu des années 2000 est quand même longue. « Je dirais qu’on en fait une moyenne de cinq par année », estime Valérie Hamel, qui compte aussi les humoristes et les spectacles collectifs.

Ce que ça prend pour faire le Centre Bell ? Un bon plan, un timing parfait, des idées et une valeur ajoutée. « Si tu as fait le St-Denis, que tu as vendu 100 billets et que tu me dis que tu veux faire le Centre Bell dans deux mois, mais que tu ne feras rien pour le vendre, ça se peut que je n’embarque pas. Il faut que les gens soient créatifs », dit Valérie Hamel.

Loud profite par exemple de son stunt de la semaine prochaine pour lancer son deuxième album, Tout ça pour ça, qui est en vente depuis hier. Paul Piché y a célébré ses 40 ans de carrière il y a deux ans. Éric Lapointe y a fait un party du jour de l’An. Marc Dupré y a invité une foule d’artistes. Marie-Mai y est allée en grand, avec les effets spéciaux, les écrans et les chorégraphies.

C’est que non seulement les artistes d’ici sont en concurrence avec les productions hyper léchées des groupes internationaux, mais aussi avec eux-mêmes, puisqu’ils sont en tournée à longueur d’année dans tous les coins du Québec.

« Pour que les gens aient envie de faire un peu de route pour venir te voir, il ne faut pas que tu présentes le même spectacle qu’à Rimouski, Trois-Rivières ou Gatineau », estime Martin Véronneau, président de l’agence de promotion Local9 et attaché de presse de 2Frères.

S’il y a une formation qui aurait pu se produire au Centre Bell ces dernières années, c’est bien le duo originaire de Chapais. Depuis que les frères Sonny et Erik Caouette ont lancé leur premier album en 2015, ils ont récolté les Félix et n’ont aucune difficulté à remplir leurs salles partout où ils passent.

Mais ce n’est pas dans les plans pour l’instant, répond Martin Véronneau. 

« Ça reste difficile de remplir le Centre Bell. C’est ça la réalité et il y a des artistes qui ne sont pas prêts à prendre ce risque. »

— Martin Véronneau, président de l’agence de promotion Local9 et attaché de presse de 2Frères

« Je ne dis pas que les gars ne le feront jamais, mais si ça arrive, ce sera dans le cadre d’un événement spécial, annoncé longtemps d’avance, et on aura utilisé toutes les vitrines pour le promouvoir », explique-t-il. 

Pour Valérie Hamel, un spectacle au Centre Bell représente surtout beaucoup de travail. « Il faut y mettre de l’énergie. Pour la plupart des artistes, le Centre Bell, c’est une étape dans une carrière. Ça se bâtit. »

« Momentum »

Carlos Munoz se rappelle avoir lancé l’idée d’un Centre Bell avec Loud il y a plusieurs années déjà, autour d’une bière. « C’était une joke et pas une joke en même temps. » C’est l’automne dernier, quand Loud a « vendu son MTelus » en quelques jours, qu’il a senti que le fameux « momentum » était là.

Même s’il reste encore beaucoup de billets pour le deuxième soir, le producteur estime qu’ils devraient amortir leurs frais. « On est proche de la récupération, ce qui nous permettra de souffler. On s’est posé beaucoup de questions avant d’ouvrir le deuxième soir. On ne perdra pas d’argent, alors qu’on aurait dû en faire parce que le premier soir est complet. Mais les retombées seront autres. »

À quelques jours de la générale, il reste énormément de choses à faire. Mais Loud demeure calme, affirme son agent. « Il n’est pas du genre nerveux ou stressé, mais il a beaucoup de choses à gérer en même temps et je sens que ça commence à le gosser. Mais pour le spectacle en tant que tel, je ne suis pas inquiet : depuis ses débuts, Loud domine sa scène. Il est comme un semi-god. Je ne sais pas comment il arrive à avoir cette portée gigantesque. »

Si le Centre Bell est de loin le plus gros événement de sa carrière, Loud et son équipe sont déjà en train de planifier leur prochain « power move ». « C’est ce qu’il a fait de plus gros à date, mais j’espère que ce ne sera pas le plus gros, dit Carlos Munoz. On pense à plus, et c’est déjà en marche. »

Loud sera au Centre Bell le 31 mai et le 1er juin. Le concert du 31 mai est à guichets fermés.

Souvenirs de Centre Bell

Marie-Mai

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Mai au Centre Bell plus tôt cette année

Marie-Mai avait déjà chanté une dizaine de fois au Centre Bell avec les participants de Star Académie avant de se lancer en solo. « Pour nous, une tournée à succès était indissociable d’un Centre Bell, mentionne-t-elle. L’objectif était donc d’espérer pouvoir un jour revivre ça. » C’est arrivé, et 15 fois plutôt qu’une. « Je l’ai fait pour toutes mes tournées, sauf la première, et les gens ont toujours été là. Mais on ne peut jamais tenir pour acquis qu’on va remplir cette salle. » La chanteuse avoue n’avoir aucun souvenir de sa première fois en solo. « J’ouvre les yeux et je vois la foule, je les ferme, je les ouvre, et c’est fini. Ça m’a pris un gros six Centre Bell avant d’en profiter à 100 %. »

Les Cowboys Fringants

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les Cowboys Fringants ont fait leur premier Centre Bell en 2003.

Les Cowboys Fringants se sont produits trois fois au Centre Bell : en 2003, en 2006 et en 2009. Quand leur agent le leur a proposé la première fois, le groupe n’y croyait pas. Jean-François Pauzé n’a pas vraiment de souvenirs de cette soirée. « C’est l’expérience d’une vie. Je n’avais presque pas dormi depuis 48 heures, j’étais sur l’adrénaline totale. Les souvenirs que j’ai, c’est quand je revois les images sur le DVD. » Si ce fut une réussite, il ne s’est jamais enflé la tête avec ça. « Le lendemain, toute la gang était partie dans le Sud, mais, moi, j’étais resté au Québec. J’étais dans mon appartement, je me disais : “C’est ça, j’ai fait le Centre Bell hier… pis, là, je suis tout seul chez nous.” Tu reviens vite les pieds sur terre. »

Marie-Élaine Thibert

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Élaine Thibert s’est produite au Centre Bell en 2006.

Marie-Élaine Thibert s’est produite dans « un trois quarts de Centre Bell » en 2006. « Je ne me souviens plus du chiffre exact, mais c’était à peu près devant 14 000 personnes. On a terminé ma première tournée là. Ça faisait deux ans que les gens venaient me voir en masse, j’avais fait 14 St-Denis et je me demandais comment j’allais faire pour le remplir. Mais ils sont venus. » La chanteuse se souvient du son de la foule quand elle réagissait, de l’impressionnant travail de montage de la scène, mais a toujours vu ce spectacle comme faisant partie d’un continuum. « Il n’y a pas eu d’avant et d’après. J’assume d’avoir commencé gros, mais, en quelque part, le Centre Bell, c’est aujourd’hui que j’aurais aimé le faire. Pour le vivre complètement. »

Marc Dupré

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Dupré au Centre Bell en 2016

Marc Dupré s’est produit trois fois au Centre Bell depuis 2016. « Pour avoir la confiance de faire ça, il faut des années d’amour et de travail, et une équipe en qui tu crois, parce que c’est gros techniquement. » Avec déjà beaucoup de spectacles dans le corps, Marc Dupré a réussi à profiter de chacune de ses soirées. Le plus dur a été de retomber sur ses pattes. « Le lendemain, tu vas faire un show à Mont-Laurier, et il faut avoir le même plaisir. L’énergie que tu reçois est énorme. Il y a aussi la fierté de se dire : “Je suis un artiste québécois et j’ai fait ça.” » L’an dernier, il était sur la scène du Centre Bell le lendemain de U2, son groupe préféré ! « La barre était haute. Comme c’est la fois où ils avaient décidé de ne pas chanter Where the Streets Have No Name, ben moi, je l’ai fait… au même endroit que Bono la veille ! »