Zach Zoya est un rappeur de 21 ans originaire de Rouyn-Noranda. C’est un jeune homme à la beauté sculpturale et au regard perçant qui se fixe sur vous intensément, sans jamais lâcher, même longtemps après que l’échange est terminé.

Je l’ai rencontré deux fois dans la dernière année. La première était pour le compte d’Urbania : nous nous posions mutuellement des questions pigées au hasard, devant caméra, format intervieweur interviewé. Tout au long de l’échange, il était assis avec les coudes sur les genoux, tout penché vers moi, les cheveux ramenés vers l’avant aussi, et semblait, dans chacune de ses paroles, essayer de venir me chercher, comme s’il se trouvait intimement et en permanence dans une position d’appel au monde.

Cinq mois plus tard, à son studio d’enregistrement, il s’est assis devant moi dans la même position, et je le lui ai fait remarquer. En effet, acquiesce le rappeur, il est fondamentalement engagé dans ses rencontres, dans sa carrière, dans le moment présent, dans tout ce qu’il entreprend, comme s’il était encore penché par-dessus un cercle de mise en jeu, lui qui était hockeyeur à l’époque abitibienne. Il est, pour parler comme Heidegger, fondamentalement là.

Zach vit aussi d’une volonté de réinvention constante. De sportif à rappeur à « recording artist », il a évolué sous mes yeux, entre la fin de 2018 et le début de 2019. Il refuse de stagner, et sait en même temps qu’il n’aura pas de deuxième chance pour impressionner avec son premier album complet, n’ayant fait paraître à présent qu’un EP de 10 minutes, Misstape, brillamment produit par High Klassified, et deux singles d’importance. 

Mais déjà, il se fait philosophe dans ces deux chansons : Who Dat demande « qui suis-je ? », tandis que Superficial pose la question de savoir comment vivre sa vulnérabilité alors que c’est son image que les gens veulent de plus en plus.

Pour citer le critique rap local Olivier Boisvert-Magnan, on ne sait plus trop s’il rappe ou s’il chante, en l’écoutant. « Exactement », rétorque Zach. C’est une affaire de combinaisons de sons pour lui, une histoire de textures léchées, de surfaces sonores réfléchissantes, je dirais. À un moment donné, il a compris que parler et rapper, c’était aussi mettre des notes musicales sur des syllabes. C’est alors que la boîte de Pandore du rap moderne s’est ouverte à lui, où l’Auto-Tune est roi. Ça m’a fait penser à ce colloque sur la chanson française où j’avais essayé de convaincre des spécialistes de Brassens et de Barbara que le rap était bel et bien de la chanson. J’attends encore qu’ils me rappellent.

Il rappe, puis il chante, puis il chante encore plus sur la pièce à paraître qu’il m’a fait écouter au studio. Il passe du rap à la pop ; c’est un chemin aussi convoité que semé d’obstacles, mais il semble savoir en éviter les écueils. De plus en plus pop, lui ai-je fait remarquer, mais c’est toujours 100 % Zach Zoya. Il était content de ma remarque.

Dans tout ce que je lis sur lui, il y a cette même impression que j’ai eue au bien nommé studio Fly Away par un soir frisquet de mars : Zach est en train de prendre son envol vers un succès dont les limites semblent difficiles à fixer. 

Le but avoué de son étiquette, 7ième ciel, est de le pousser au-delà des frontières québécoises. Il est d’ailleurs le seul artiste anglo de l’écurie.

Comment perçoit-il le rapport à la langue dans le rap, en tant que francophone qui a décidé d’œuvrer en anglais ? Est-il d’accord avec le respecté Montréalais DJ Asma, qui croit que les deux scènes rap québécoises sont moins séparées qu’on peut le croire ? Plus ou moins. Il y a bel et bien un problème de deux solitudes, selon lui. Pourtant, contrairement à plusieurs de ses collègues anglo-montréalais, il affirme ne pas pouvoir se plaindre la bouche pleine, profitant d’une présence médiatique privilégiée, des deux côtés de la rue Peel.

Son père, il y a 35 ans, a émigré au Canada pour fuir l’apartheid en Afrique du Sud. Ses parents se sont rencontrés à Winnipeg, puis ont abouti en Abitibi en raison du poste de médecin de sa mère. Je lui demande comment il perçoit l’hospitalité québécoise vis-à-vis des immigrants. Curieux hasard, il en parlait quelques jours auparavant avec son père. Oui, l’accueil est bon ici, le Québec n’est pas caricaturalement raciste. Il reste que c’est en prenant le métro à Montréal, au début, que son père s’est senti marginalisé. On semblait le prendre pour un con du simple fait qu’il ne savait pas où mettre son ticket ; on semblait plus rapidement le prendre pour un con à cause de son apparence. C’est crucial : l’exemple venait de Montréal, où la famille a transité, et non de Rouyn, que Zach voit comme une terre d’accueil riche.

Difficile, par contre, de retourner dans ses terres ces jours-ci, parce qu’il ressent une pression d’« être Zach Zoya » quand il s’y trouve. Nous n’avons pas fini de poser la question : mais qu’est-ce que cela veut donc dire ?