Pour préparer sa toute première mise en scène lyrique, le cinéaste Charles Binamé s’est isolé dans le lumineux bureau de sa maison de campagne qui joue, dit-il, le rôle du silence. Et il a laissé le bruit des idées monter peu à peu vers lui. Visite guidée.

« J’ai deux façons de trouver des idées, dit Charles Binamé. La première est de m’isoler ici et de descendre dans une bulle, comme si c’était au fond de la mer. Je m’occupe d’abord l’esprit avec de petits riens. Je découpe des choses. Je dessine, pour me mettre en état. Et lorsque je suis rendu au bon endroit, les choses viennent. »

Le réalisateur d’Eldorado, de Séraphin et de Maurice Richard a acheté une ancienne maison de ferme il y a 14 ans et y passe la moitié de son temps avec sa conjointe. Un an après l’achat, il a construit ce bureau. Une annexe aérée et lumineuse, au plafond haut et dans laquelle le bois a la part belle. De trois côtés, les fenêtres s’ouvrent sur l’horizon. C’est là qu’il « descend », comme il se plaît à le dire.

Sa deuxième façon de s’inspirer ? Marcher seul et longtemps sur les routes peu achalandées de son village, Frelighsburg. Les idées surgissent avec l’addition des pas. « Je ne fais pas un travail conscient de les chercher. Elles viennent. »

L’homme affectionne les rituels. En plus de se mettre en état à chaque séance de travail, il reconfigure son bureau en fonction d’un nouveau projet. Pour Carmen, sa table de travail donne vers l’est, paysage émaillé de vastes champs et des premiers reliefs de l’Estrie. « Je ne sais pas si c’est feng shui, mais ça marche pour moi », dit Binamé entre deux gorgées de tisane à la fleur d’hibiscus.

Le souci du travail bien fait, d’une réflexion approfondie sujette à des remises en question, explique cette façon de faire. Binamé cherche, cherche et cherche encore. La table de travail de son bureau est un petit capharnaüm d’idées, de dessins, de couleurs, de tests, de notes.

« Je décortique tout. Je dois connaître l’opéra par cœur, car tout a une résonance, dit-il. Je dois savoir comment aborder l’histoire et comment nourrir les créateurs qui travaillent avec moi. Je dois donner la bonne vibe, la bonne première impulsion pour que les gens autour de moi [scénographe, éclairagiste, costumière, etc.] partent du bon pied. » 

Trouver sa Carmen

Mais avant tout, il lui fallait trouver « sa » Carmen. Lorsque Michel Beaulac, directeur artistique de l’Opéra de Montréal, lui a proposé de monter l’opéra, en mai 2017, Binamé a réfléchi durant plusieurs semaines, faisant un crochet par l’Andalousie pour s’imprégner de l’histoire.

« On te propose de monter Carmen et tout de suite viennent en tête des images qui sont des clichés. On est dans le connu. Carmen est l’opéra le plus joué dans le monde. Il est donc important de faire l’inventaire de ce qui a été dit et ne pas le refaire. Si on me demande de faire ce projet, j’imagine que c’est parce qu’on veut ma lecture. »

— Charles Binamé

Et comment définir cette lecture ? En se replongeant dans l’histoire de la France du XIXe siècle (Carmen a été créé en mars 1875). Dans sa bulle au fond de sa mer, Charles Binamé a entendu le bruit bouillonnant de l’histoire : la défaite de 1870, le début de l’industrialisation, l’ouverture sur l’orientalisme, un intérêt marqué pour l’Espagne.

« Il y a une fascination pour la belle Andalouse. Ces femmes sont alors perçues, à mon sens, comme des objets. Et dans la conception habituelle, Carmen est souvent traitée comme un objet. »

Ses recherches l’ont amené ailleurs. Vers des femmes et des hommes de fougue et de feu, habités de sentiments plus grands que nature, dans un univers social où la définition des classes est très marquée.

« Cet opéra a un sens. Il est un des rares à porter une trame narrative. Nous sommes en présence de personnages réels qui vivent de vraies affaires. Je peux leur donner une fonction dramatique et les intégrer dans un récit. »

Et si, lorsque le rideau retombera, le public est ému par l’histoire comme par les sentiments de ces personnages, Charles Binamé sera heureux.