(Paris) Six ans après sa mort, la guitare du troubadour J. J. Cale résonne de nouveau dans un album posthume. Le producteur français Emmanuel de Buretel, qui l’avait sorti de la retraite 20 ans plus tôt, raconte à l’AFP « l’ermite, le sage et le grand artiste qu’il était ».

J. J. Cale n’est pas le plus connu des musiciens rock et cela lui allait d’ailleurs très bien, car « il n’était pas du tout intéressé par la célébrité », selon Emmanuel de Buretel. Mais, aux yeux du public averti et des fans, dont certains autrement plus célèbres comme Eric Clapton qui reprit plusieurs de ses chansons dont Cocaïne et After Midnight, il était considéré comme un des plus grands.

« Je l’ai découvert dans les années 70 quand j’étais étudiant. J’écoutais beaucoup de musique électronique, type Kraftwerk, je n’aimais pas forcément ce qui était folk ou country. Mais en découvrant ses premiers albums Naturally ou Troubadour, j’y ai vu une modernité qui m’a énormément inspiré », explique le patron de Because Music qui détient une partie des droits discographiques du chanteur.

La singularité de Cale réside dans le fameux « Tulsa sound » qu’il a inventé. C’est dans cette ville de l’Oklahoma où il a grandi que son jeu de guitare décontracté et sa voix trainante ont fait glisser le rock aux confins du blues, de la country et du folk, comme peu d’autres avant et après lui.

Stay Around, qui sort vendredi et comprend 15 morceaux inédits sélectionnés par sa femme Christine Lakeland, elle aussi guitariste, est un nouveau témoignage du talent de John Weldon Cale, qu’un patron de salle persuada d’adopter les initiales J. J. pour ne pas être confondu avec John Cale du Velvet Underground.

Certains des morceaux qui y figurent sont passés dans les oreilles d’Emmanuel de Buretel, à qui Cale envoyait parfois des cassettes audios « sur lesquelles il écrivait de sa main ». Preuve d’une confiance qui confinait à l’amitié entre les deux hommes, après que le producteur français avait réussi à approcher l’artiste si difficile à joindre.

« Un Van Gogh »

« Je l’ai rencontré en 1993 grâce à son gérant Mike Kappus. À l’époque je dirigeais Virgin France. Cale m’a dit “je vais faire une tournée, si ça t’amuse, viens”. Donc je suis parti avec lui dans son bus qu’il adorait conduire. On parlait pendant des heures, on écoutait de la musique. J’ai découvert un homme un peu grincheux, très drôle, vraiment intéressant. Il avait une énorme culture musicale, il connaissait tout son Memphis, son Oklahoma, son Nashville par cœur », raconte-t-il.

« Et au bout de la route, il m’a dit : “Ok je veux bien faire un disque avec toi” ».

Il y en aura quatre. Closer to You est le premier dès 1994. Suivront To Tulsa and Back (2004), Rewind (2007) et Roll On (2009). Entre-temps, Cale enregistra un opus avec Eric Clapton « qui est allé carrément dormir chez lui pour le faire ».

Emmanuel de Buretel se souvient d’un homme en total contrôle artistique, « un vrai grand producteur, pas juste un auteur, compositeur, interprète. Il arrangeait souvent ses chansons dans son propre studio. Il était très technique. C’est lui et Sly Stone qui ont utilisé les premiers les boîtes à rythmes dans le rock. Son batteur ne lui convenait pas, et du coup ça a apporté une modernité à laquelle se prêtait sa voix “chamanesque” ».

Dès après la mort de Cale à 74 ans en 2013, dans l’indifférence quasi générale aux États-Unis, à peine moins en France où il avait conquis un public grâce notamment à Bertrand Blier qui lui confia la bande originale de son film La femme de mon pote en 1983, Emmanuel de Buretel a fait l’acquisition de deux autres de ses albums, pour en compter six au catalogue Because Music.

« Cale, c’est un peu un Van Gogh, estime-t-il. C’est quelqu’un qu’on découvrira vraiment quand nous serons tous morts. Il n’est peut-être pas aussi important que Bob Dylan, mais autant que Clapton. C’était un homme libre, humble, érudit et un grand artiste. J’espère que les générations suivantes sauront le découvrir. C’est mon rôle d’y contribuer. »