Nicki Minaj, Cardi B, Ariana Grande, Janelle Monáe, Beyoncé, Rihanna, Billie Eilish... Le pays de l'Oncle Sam a bien des défauts, mais il compte plusieurs de ces reines médiatiques rompues aux codes du hip-hop. Or, combien en trouve-t-on en territoire québécois ? Au moins une - et peut-être même une seule - se dresse dans la lignée de ces femmes fortes et fières. Son nom : Laurence Nerbonne.

Après avoir roulé son électro-rock au sein d'Hôtel Morphée, puis défendu de puissants beats de plage sur son premier album solo, la chanteuse mord à pleines dents dans la pop d'aujourd'hui, largement propulsée par le rap du Dirty South et le R&B.

Pas de doute, Nerbonne a bricolé un max sur sa boîte à rythmes et ses synthés pour allumer ce FEU moderne et dansant. Les amateurs de trap seront choyés par le contingent de sonorités (grosse caisse, cymbale, etc.) caractéristiques du Roland 808.

Co-réalisé par l'omniscient Philippe Brault et par Laurence Nerbonne et mixé en grande partie par Seb Ruban (Pierre Kwenders, Dead Obies, Radio Radio), l'album oscille entre productions lourdes (Money CA$H) et compositions pop plus léchées (Semblant, Danser à contresens), avec toujours ce penchant pour les mélodies entêtantes.

FEU n'a pas peur de déranger, ni dans la forme ni dans le fond. « J'me suis fait dire que je jouais trop clean, j'ai repris confiance. » Dans une langue décomplexée qui n'a plus honte du franglais, des gros mots et des petits travers grammaticaux, Nerbonne semonce, provoque, revendique.

Elle déplore la piètre représentation des femmes dans l'industrie musicale sur Back Off - « Seule fille au festival, sur un bill rempli d'ego, jamais l'acte principal, depuis Céline c'est zéro » - en plus de s'attaquer sans ambages au sexisme ordinaire et à la « culture du viol » sur le brûlot #Metoo, où l'adéquation beat-voix atteint des sommets : « Elles sont pas folles, elles sont révoltées, tu peux commencer par écouter », tonne-t-elle après avoir balancé quelques « Fuck You » frondeurs.

On ne fera pas grand cas de la pique bien sentie lancée à Marie Mai sur Fausses idoles - « Tu copies mon style, ride sur mon vibe, tu penses qu'on allait pas r'marquer » -, mais saluons le courage d'effleurer la « diss track » dans un petit marché qui porte à la complaisance. Les saveurs trap du tube ne sont pas anodines, avec des allures de mise au défi : allez, à ton tour de te risquer dans ces talles.

Outre cette salve de flèches acérées, les quêtes amoureuses, sexuelles ou sociales (Ride Alone avec FouKi) continuent de préoccuper la désormais MC, offrant un miroir complice aux préoccupations des jeunes fans qui la prennent pour modèle.

« Je crois que le futur est dans la jeunesse, et si personne ne s'en occupe, il n'y aura pas de pérennité pour la langue », nous avait confié Laurence Nerbonne l'année dernière.

C'est peut-être là la plus grande contribution de l'égérie : défendre des textes en français ardemment travaillés dans un créneau musical intimidant, difficile et naguère abandonné à l'hégémonie masculine et américaine. Chapeau bas.

FEU

Laurence Nerbonne

Coyote Records