Attendu, le premier album de Billie Eilish? Des millions de fans, les jeunes en tête, vous renverront l'euphémisme en pleine face: c'est L'ALBUM de 2019.

L'adolescente de 17 ans, révélée il y a trois ans grâce au simple ocean eyes, soulève les passions : des milliards d'écoutes sur Spotify, des collaborations avec Khalid et Vince Staples, un contrat lucratif avec Universal Music... Même le respecté rockeur Dave Grohl s'en est mêlé. L'ex-batteur de Nirvana a dû nuancer ses propos après avoir comparé la ferveur autour de la Californienne à celle ressentie par son défunt groupe au tournant des années 90. «Quand je regarde Billie Eilish, je me dis que le rock'n'roll est loin d'être mort.» La table est mise.

Alors, ce premier disque? D'entrée de jeu, Billie Eilish annonce, dans une introduction parlée, en compagnie de son frère aîné et coparolier Finneas O'Connell, qu'il vaut mieux ne pas trop se prendre au sérieux. «J'ai enlevé mon Invisalign [appareil dentaire] et voici l'album», rigole la chanteuse. 

Fausse piste: très vite, bad guy laisse tomber de puissantes basses, un débit haletant, des effets de voix appuyés: «Je suis un mauvais garçon», tonne-t-elle sur une finale trap. Spotify n'a qu'à bien se tenir.

Ça se poursuit avec la ballade atypique et anxiogène xanny, où Eilish expose ses talents d'interprète. La batterie et les guitares saturées emprisonnent la voix, tandis que le clavier la ramène au premier plan, jusqu'à des confidences a capella sur des maux bien de son temps. «J'ai dû louper quelque chose, ils ne cessent de ne rien faire, trop ivres pour avoir peur» (traduction libre).

Anxiété, échecs amoureux, indépendance sentimentale, peurs enfantines: les thèmes sont conséquents à l'âge de la protagoniste, qui avait déjà donné le ton avec les simples wish you were gay  (plutôt quelconque) et la superbe when the party's over, sur fond de piano mélancolique.

De concert avec l'ingénieur du son Rob Kinelski (Ariana Grande, Rihanna, Eminem), le «mixeur» John Greenham (LP, Bad Suns, Sam Smith) et son frère producteur, Billie Eilish réussit à tirer le meilleur des rouages électro-pop sur la majorité des pièces ultraproduites de When We All Fall Asleep, Where Do We Go?

Elle gonfle sa voix à l'hélium sur 8, insère des échantillonnages de la série The Office sur la pop sucrée de my strange addiction, appuie sur les effets audio (modification, réverbération, saturation, superposition, etc.), multiplie les indices et les discours autoréférentiels dans les titres comme dans les textes.

Si certains pourront regretter quelques calembredaines, on retient surtout la liberté et l'intelligence avec lesquelles la jeune chanteuse assoit son oeuvre. C'est sans compter l'imagerie sophistiquée qu'elle déploie sur scène, dans les réseaux sociaux et dans les clips.

Eilish ne prend pas son jeune public de haut ni ne le tient pour acquis. Elle naît avec lui et lui redonne, sur ce premier disque, une bonne partie de ce qu'elle reçoit. Vive le rock'n'roll, vive la jeunesse!

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Électro-pop. When We All Fall Asleep, Where Do We Go? Billie Eilish. Universal Music.