Les bureaux de l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) étaient en ébullition, la semaine dernière. Et pour cause, le personnel s'affairait à voir aux derniers détails de la tournée européenne qui s'amorce aujourd'hui à Düsseldorf et qui conduira les musiciens et leur chef, Kent Nagano, dans neuf villes, dont Hambourg, Vienne, Paris et Berlin.

Cette 54e sortie dans l'histoire de l'OSM permettra à l'orchestre de visiter pour la première fois quelques-unes des plus prestigieuses salles de concert en Europe, notamment l'Elbphilharmonie de Hambourg et la Philharmonie de Paris.

Ces nombreux changements de villes et de salles, quasi au quotidien, bousculent les habitudes des 116 musiciens de l'OSM et leur chef. « Oui, c'est sûr que c'est un défi, dit Kent Nagano lors d'une rencontre avec La Presse la semaine dernière. Il faut que l'orchestre fasse preuve d'une grande flexibilité. Nous devons faire des ajustements rapidement. Cela dit, je trouve que ces conditions font augmenter le niveau de confiance entre les membres. »

Kent Nagano apprécie de la vie de tournée le cadre « irrégulier » dans lequel tout le monde est plongé.

« On peut prendre le petit-déjeuner ensemble. Dans la vie de tous les jours, on ne se voit qu'aux répétitions et aux concerts. Là, on peut discuter de nos expériences. »

« Et au-delà de cela, les tournées permettent à l'OSM de rayonner. C'est pour cela que nous voyageons régulièrement. »

L'OSM part en tournée avec cinq oeuvres dans ses valises. Selon le désir des salles ou des promoteurs, les programmes seront composés de Jeux de Debussy, du Sacre du printemps de Stravinsky, du Concerto pour piano no 23 en la majeur de Mozart, des Wesendonck Lieder de Wagner et du Concerto pour piano no 5, dit « L'égyptien », de Saint-Saëns.

L'occasion est belle de demander à Kent Nagano si les oeuvres ou les compositeurs entretiennent des relations différentes avec chacun des publics.

« C'est vrai qu'il n'y a pas deux villes exactement pareilles, dit-il. Mais j'hésite à dire qu'il y a un public allemand ou un public français. Dans une même ville, il peut y avoir plusieurs orchestres. Chacun a sa façon de jouer et chacun a son public. Pour nous qui débarquons dans ces villes, l'important est de bien jouer. Si on joue bien, le public réagira favorablement. Si on n'est pas au sommet de notre forme, on le saura. Mais normalement, nous jouons au bout de nos chaises. Donc, ça devrait bien se passer », dit-il en souriant.

Des solistes de choix

L'OSM effectue cette tournée avec trois solistes. D'abord Marie-Nicole Lemieux qui interprétera les lieder de Wagner, ainsi que les pianistes Jean-Yves Thibaudet et Rafal Blechacz qui interpréteront respectivement les concertos pour piano de Saint-Saëns et de Mozart. La présence de ces trois artistes ravit Kent Nagano.

« Comme je le disais, le but des tournées est de faire connaître le talent d'ici. Marie-Nicole est québécoise, il est tout à fait normal qu'elle vienne avec nous. Jean-Yves Thibaudet vient de la grande tradition française, mais il faut savoir qu'il joue avec nous depuis 1986. Il fait partie de la famille. Rafal Blechacz est un nouveau membre. Il joue dans une esthétique qui nous plaît. Il se marie très bien avec le son de l'OSM. »

L'OSM fera un arrêt à Hambourg, une ville que Kent Nagano connaît bien puisqu'il y dirige l'Opéra de Hambourg et son orchestre, le Philharmonique. Le chef aura donc l'occasion de faire entendre ses musiciens montréalais au public hambourgeois. « J'ai vraiment hâte de partager le savoir-faire d'ici dans cette ville, dit-il. On connaît la réputation de l'OSM à Hambourg. Je suis persuadé que plusieurs musiciens hambourgeois seront dans la salle. »

Une douce séparation avec l'OSM

Cette tournée revêt un caractère particulier puisqu'elle sera la dernière visite en Europe pour le chef avec son orchestre montréalais. Même si une autre tournée doit avoir lieu en Amérique du Sud avec l'OSM, reste que celle qui a lieu en Europe est une étape qui rapproche Kent Nagano de la fin de son aventure montréalaise.

« L'expérience avec Montréal a été formidable, dit-il. L'inspiration que m'a procurée le Québec a été très spéciale, exceptionnelle, je dirais même. »

« C'est difficile de parler des caractéristiques de la culture québécois en quelques mots. Mais ce que l'on peut dire, c'est qu'il n'y a pas d'autre endroit comme celui-ci en Amérique du Nord. Les racines européennes sont encore bien présentes ici. »

Le jeune Américain que fut Kent Nagano parle avec émotion de l'influence européenne qu'il a connue lors de sa formation musicale. « La relation entre les États-Unis et l'Europe a beaucoup changé. Nous avons fait la révolution pour nous détacher de l'Angleterre. Quand je suis arrivé au Québec, je n'ai pas senti de frontière. Le Québec est branché sur toutes les cultures. »

Au cours de ses 15 années avec l'OSM, Kent Nagano a fait beaucoup de choses pour rapprocher la musique classique du public, notamment avec la présence d'artistes pop sur scène et les concerts en plein air offerts gratuitement, dont celui qui est présenté chaque été au pied du Stade olympique. Il y a aussi ce programme qui a pour but d'amener la musique à la petite enfance, particulièrement celle qui est défavorisée.

« Je pense que l'OSM est une sorte de modèle. Vous savez, rapprocher un orchestre classique de la communauté est facile à dire, mais ce n'est pas facile à faire. Il faut que le public soit ouvert à cela. Je ne peux pas prendre tout le crédit du résultat. Ce fut un travail que nous avons réalisé ensemble. »

L'héritage de l'OSM

Si l'aventure avec l'OSM était à recommencer, de quelle façon s'y prendrait aujourd'hui le chef ? « On ne peut pas revivre le passé, dit-il. Ce que je peux dire, c'est que lorsque je suis arrivé, ce n'était pas une période facile pour l'orchestre. Il y avait une tension entre le public et l'OSM. On sentait une instabilité à la suite du départ de l'ancien directeur musical. Et puis, il y avait eu la longue grève des musiciens. Ce qui est important, c'est ce que l'on fait après, c'est la manière dont on veut rebâtir les choses. C'est ça qui compte. »

Il est vrai que Kent Nagano a joué un rôle capital dans la « reconstruction » de cet orchestre.

« Pour moi, ce qui était important, c'était ce que l'OSM allait devenir au XXIe siècle. »

« Je ne voulais pas travailler à partir d'un modèle basé sur le passé. Et pour atteindre ça, je dois dire que nous avons tous marché dans la même direction, les musiciens et les membres de la direction. »

Même s'il voit approcher la fin de son aventure avec l'OSM, Kent Nagano demeure extrêmement fier de ce qu'il a pu accomplir au cours des dernières années. Il quittera dans un an un orchestre qui lui laisse beaucoup de choses en héritage.

« Il y a une grande ouverture ici, on n'a pas peur d'explorer de nouvelles idées. De plus, je dois dire que j'ai appris ici l'importance de la fameuse "joie de vivre". C'est l'OSM qui m'a appris ça. »

La tournée de l'OSM

11 mars : Düsseldorf

13 mars : Hambourg

14 mars : Essen

17 mars : Vienne

19 mars : Paris*

20 mars : Bruxelles*

22 mars : Munich

22 mars : Ratisbonne

25 mars : Berlin

La Presse accompagnera l'OSM à Paris et Bruxelles.