La batterie installe le rythme. Puis la basse embarque, bondissante et dansante. Sur la pièce Superstition, Stevie Wonder n'a même pas commencé à chanter que le groove est parti. Plusieurs ressentiront l'envie de taper du pied, de hocher la tête, voire de se déhancher. Mais quels sont les ingrédients d'un bon groove ? Un chercheur de Concordia s'est penché sur la question et découvert qu'au-delà du rythme, l'harmonie joue un rôle méconnu. Cinq mots pour comprendre.

Groove

Tomas Matthews, doctorant au département de psychologie à l'Université Concordia, est aussi un batteur qui joue tant du rock lourd et du métal que de l'électronique et de la musique influencée par le hip-hop. « Il était naturel pour moi d'étudier le rythme. Et une question en particulier m'intriguait de plus en plus : pourquoi est-il si plaisant de synchroniser nos mouvements avec la musique ? C'est là que l'aspect du groove intervient », explique-t-il en entrevue. Le groove est défini comme ce désir de bouger, accompagné de plaisir, que peut provoquer la musique. Interrogé pour savoir quelles pièces il juge emblématiques d'un groove digne de ce nom, M. Matthews mentionne spontanément Get Up (I Feel Like Being a) Sex Machine, de James Brown, Superstition, de Stevie Wonder, et Look-Ka Py Py, du groupe The Meters.

Syncope

Le principal secret du groove a déjà été découvert : il s'agit de la syncope (et on ne parle pas ici d'une perte de conscience provoquée par un tube particulièrement foudroyant). Une syncope est un truc rythmique qui consiste à attaquer une note sur un temps faible, puis à la faire suivre d'un silence sur un temps fort. Un exemple est la clave, rythme souvent utilisé dans la musique afro-cubaine. « La syncope est un élément de surprise. Vous attendez quelque chose, mais ça arrive plus tôt que prévu. Le silence sur le temps fort est aussi surprenant, peut-être même plus, que la note devancée », explique Tomas Matthews. Le musicien canadien Owen Pallett a déjà écrit un article sur l'utilisation de la syncope dans le tube Teenage Dream de la chanteuse Katy Perry.

Modération

La syncope est toutefois à utiliser avec doigté. Pour découvrir la meilleure recette du groove, Tomas Matthews et ses collègues ont recruté 201 participants âgés de 17 à 79 ans et leur ont fait écouter plusieurs séquences musicales de leur création basées sur des rythmes afro-cubains. Les cobayes devaient dire à quel point les extraits leur plaisaient et leur donnaient envie de bouger. Les chercheurs ont découvert que les rythmes qui font mouche sont moyennement syncopés. Ceux qui sont trop réguliers sont jugés ennuyeux, tandis que ceux qui comportent trop de surprises sont tout simplement déroutants. « Les rythmes moyennement syncopés créent un niveau optimal de tension entre les attentes des auditeurs et les subtiles violations de ces attentes, ce qui crée des récompenses », explique M. Matthews.

Équilibre

Si c'est le rythme qui donne le goût de bouger, les chercheurs de Concordia ont découvert que les harmonies jouaient un rôle méconnu dans le groove. En ajoutant une harmonie (un seul accord qui se répète) sur les rythmes, les chercheurs ont noté que le plaisir des auditeurs augmentait systématiquement. « Le goût de bouger vient vraiment du rythme, tandis que l'harmonie affecte le degré de plaisir. Mais comme le plaisir influe sur le goût de bouger, l'harmonie a un effet indirect sur le goût de bouger », précise Tomas Matthews. Encore ici, les chercheurs ont observé que des harmonies trop complexes minaient le plaisir. Les harmonies simples et moyennement complexes ont remporté la faveur des auditeurs dans l'expérience, mais M. Matthews estime que les harmonies simples utilisées n'étaient, dans les faits, pas si simples. « On a refait une autre étude avec des harmonies vraiment simples et on a vu la même relation qu'avec le rythme : ce qui est trop simple ou trop complexe ne fonctionne pas, et c'est le niveau moyen de complexité qui génère le plus de plaisir », explique-t-il.

Cerveau

Tomas Matthews et ses collègues ont refait l'expérience, mais en plaçant cette fois les participants dans une machine d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle lorsqu'ils écoutaient les extraits musicaux. « On veut voir ce qui se passe dans le cerveau des gens quand ils écoutent les mêmes stimuli. On veut voir les effets qu'a le rythme, les effets qu'a l'harmonie et les effets qu'ont les interactions entre les deux », explique Tomas Matthews. Les résultats sont en cours d'analyse. On sait déjà que le rythme active les structures responsables du mouvement dans le cerveau, et ce, même si les auditeurs ne bougent pas en écoutant la musique. « Ça souligne la connexion entre le rythme et le mouvement », dit Tomas Matthews. Pas étonnant que la musique donne envie de danser. Les effets de l'harmonie sont moins bien connus. Les chercheurs veulent aussi voir si l'activité du cerveau diffère selon qu'un musicien ou un non-musicien écoute le même extrait musical.