La cassette audio. Cet objet du passé. Le souvenir de cette cassette favorite, mille fois écoutée, qui finissait par tomber dans la distorsion la plus infâme. Ou encore qui se dévidait catastrophiquement dans le magnétophone et qui émergeait comme un spaghetti de ruban magnétique. Parfois il était possible de rembobiner le tout. Parfois le cas était désespéré.

Le CD puis la musique numérique téléchargeable ont mis fin à l'épopée de la cassette.

Et pourtant. En 2018, les ventes de cassettes de musique ont augmenté de 17 % au Canada par rapport à 2017, selon les données de Nielsen Music Canada. Aux États-Unis, on parle d'une croissance de 23 %.

Bien entendu, on parle de très petits chiffres. Il s'est vendu 8900 cassettes de musique au Canada en 2018, comparativement à plus de 1 million d'albums de vinyle et à plus de 59 milliards d'écoutes en continu, toujours selon les mêmes données. Mais 8900 cassettes, c'est quand même deux fois plus que les 4000 cassettes vendues en 2015.

«Ça fait quelques années qu'on voit les ventes de cassettes augmenter, confirme Sean Ellingham, de la boutique de disques Sound Central, avenue Coloniale, à Montréal. Ça reste quand même un marché de niche.»

Les petits disquaires indépendants comme Sound Central et Cheap Thrills offrent des cassettes neuves comme des cassettes d'occasion.

«Nous avons des cassettes vintage, note Thalie Brunet, de la boutique Cheap Thrills, rue Metcalfe. J'ai récemment vendu la bande sonore de Rambo, nous avons en magasin la bande sonore de Twin Peaks. Nous avons aussi du AC/DC, ABBA, Queen. Ça peut être toutes sortes de choses.»

Un médium accessible

La cassette, c'est aussi le royaume de la scène locale, de la musique indépendante.

«Ces artistes n'ont pas beaucoup de moyens, explique Luc Bérard, de la boutique L'Oblique, rue Rivard. Ils produisent une cassette parce que ça ne coûte pas cher. Ils peuvent faire des quantités plus petites que s'il faisaient des CD.»

Il y a quelques années, ces jeunes musiciens pouvaient se tourner du côté du vinyle. Maintenant, avec la popularité grandissante de ce médium, c'est beaucoup plus complexe.

«Il était facile de faire quelques copies en l'espace d'un mois, indique Michael Pelletier, directeur du personnel de la boutique Aux 33 Tours, sur l'avenue du Mont-Royal. Mais à l'époque, le vinyle n'était pas aussi populaire. Maintenant que toutes les usines sont débordées, il faut arriver avec un vrai projet et être prêt à attendre plusieurs mois.»

Depuis sa création en 2010, le label indépendant montréalais Jeunesse Cosmique a lancé une centaine d'albums sur cassette.

«Nous avons fait quelques parutions de CD, de vinyles, mais nous faisons surtout de la cassette, indique Chittakone Baccam, directeur artistique de Jeunesse Cosmique. C'est beaucoup moins cher à produire.»

Âgé de 39 ans, il a grandi avec des cassettes. «J'ai repris contact avec ça en allant à des concerts à Montréal, raconte-t-il. J'ai vu des artistes américains qui faisaient de la cassette et qui vendaient ça sur leur table de marchandise.»

Il a tout de suite aimé l'idée. «C'est un peu comme une carte de visite pour les artistes. Ils y ajoutent un code de téléchargement.»

Chittakone Baccam apprécie ce support physique, notamment parce qu'il peut donner lieu à un travail artistique pour créer une pochette à l'image du musicien ou de sa musique.

«Un autre aspect important de la cassette, c'est qu'on y trouve une face A et une face B, comme le vinyle. Ça peut être très conceptuel : une face peut être de tel genre, l'autre d'un genre différent.»

Le vinyle a amorcé un retour en raison notamment d'un son qu'apprécient plusieurs mélomanes. Le son de la cassette n'a cependant jamais été reconnu pour sa grande qualité.

«Ce n'était pas si pire que ça, soutient Michaël Pelletier. On a cette impression parce que les gens écoutaient énormément de copies, ils enregistraient notamment ce qu'ils écoutaient à la radio. Alors qu'un bon ruban neuf dans un bon magnétophone, ça sonne super bien.»

Il y avait aussi une question de soin, soutient Sean Ellingham, de Sound Central. «Si tu laissais tes cassettes traîner par terre dans ta voiture, ce n'était pas génial», affirme-t-il.

Quant à la distorsion, elle se manifestait moins avec des cassettes de qualité.

Époque nostalgie

La nostalgie joue pour beaucoup dans le timide retour de la cassette.

«On dirait que plus le temps passe, plus les trucs vieillots reviennent, explique Thalie Brunet, de Cheap Thrills, elle-même une consommatrice de cassettes qu'elle écoute avec un vieux baladeur. Et puis, bien des choses ne se retrouvent qu'en cassette, des bands locaux, des bands d'autres pays. C'est le fun.»

Lexi Ilkkala-Boyer est aussi un amateur de ce support. «Au cours des cinq dernières années, j'ai dépensé de 200 à 300 $ par année en musique physique. La plupart de mes achats étaient en cassettes.»

«Ça me permet de découvrir de nouveaux groupes. Il y aussi un côté nostalgique. J'ai 30 ans: dans ma jeunesse, il y avait encore beaucoup de cassettes.»

Lorsqu'il a monté sa chaîne audio, il a tenu à acheter un lecteur de cassettes. «Je savais que j'en achetais beaucoup.»

Justement, où peut-on se procurer un magnétophone? «C'est facile: sur kijiji, dans les friperies, affirme Lexi Ilkkala-Boyer. Il en reste beaucoup sur le marché de l'occasion.»

Comme son nom l'indique, la boutique Aux 33 Tours se spécialise dans les disques vinyle. Elle offre des tourne-disques remis en état, mais aussi des lecteurs de cassettes. «Nous essayons toujours d'avoir quelques modèles à vendre», affirme Michaël Pelletier.

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Chittakone Baccam, directeur artistique du label musical Jeunesse Cosmique