Les services de diffusion en continu (streaming), c'est le pactole pour l'amateur de musique. Avec leurs gigantesques discothèques, les plateformes comme Spotify, AppleMusic, YouTube ou Deezer permettent l'accès à plus de musique que jamais: plus de chansons de plus d'artistes de plus de pays du monde. En profite-t-on vraiment? Est-ce qu'on choisit vraiment ce qu'on écoute? Se laisse-t-on guider aveuglement?

«Tout dépend de l'utilisateur», selon Jason Bissessar, de la maison de disques Bonsound. «On peut décider de ce qui nous tente. On a envie de tel artiste ? On peut. On ne veut pas se casser la tête et écouter une liste thématique? On peut. On veut découvrir et suivre les suggestions que la plateforme fait selon nos intérêts? On peut...»

Louis-Armand Bombardier, patron de l'étiquette L-Abe, est moins optimiste quant à la liberté de choix de l'utilisateur. «J'ai l'impression que non [qu'on ne choisit pas]», dit-il. Pas autant qu'on le pourrait, du moins. Par paresse, par habitude et en raison du fonctionnement des plateformes. Et il n'a pas tout à fait tort.

Dans un récent rapport, l'ADISQ a consacré quelques pages au fonctionnement des plateformes d'écoute en continu. Ses constats sont assez nets: les listes d'écoute sont très appréciées - et écoutées - par les utilisateurs. Et elles orchestrent grandement leurs choix. Si l'auditeur moyen de Spotify écoute en moyenne 40 artistes par semaine, par exemple, c'est parce qu'il écoute les principales listes concoctées par ses programmateurs.

L'immensité des discothèques virtuelles ne serait donc pas une garantie de diversité. S'appuyant sur des statistiques américaines, le rapport avance que 99 % de l'écoute sur Spotify concerne 20 % du catalogue. Un expert cité dans ce rapport évoque même une espèce de cercle vicieux: les listes d'écoute misent sur des chansons poussées par des labels et comme les gens n'ont pas tendance à sauter beaucoup de chansons, les algorithmes déduisent que c'est ce que les gens veulent entendre.

Louis-Armand Bombardier croit que les sites d'écoute en continu et les labels ont du travail à faire pour que les listes de lecture soient plus diversifiées et les recommandations, plus raffinées. Mettre Marc Dupré et Charlebois dans la même séquence juste parce qu'ils sont québécois n'a aucun sens sur le plan musical, selon lui. En même temps, il craint qu'en déléguant le choix à un algorithme, les auditeurs deviennent paresseux et perdent le goût de la découverte.

Tout le monde n'accorde pas la même importance à la musique, convient cependant le patron de L-Abe.

«Ça peut faire l'affaire de bien du monde, les playlists. Il y en a qui s'en servent un peu comme de la radio: tu ne choisis pas ce qui va jouer, mais tu choisis une station parce que tu aimes le genre de musique qu'elle fait tourner», indique Jason Bissessar, de Bonsound.

Contrer l'enfermement

L'ADISQ s'inquiète tout particulièrement de cet «enfermement» dans des contenus - surtout étrangers - qui tendent à se répéter. Le président de l'organisme, Philippe Archambault, salue néanmoins les efforts de Spotify et d'Apple Music, qui ont embauché du personnel québécois qui connaît la scène locale et crée des listes d'écoute qui mettent de l'avant des artistes d'ici.

Mais pour élargir les horizons des auditeurs, il faut aller plus loin encore, croit M. Archambault, qui donne en exemple les discussions des années 2000 avec iTunes pour que soient mis en vitrine les contenus locaux. Ces efforts ont porté leurs fruits, et Apple met ainsi désormais en évidence les palmarès francophone et canadien sur la page d'accueil de sa boutique canadienne.

- Avec Simon-Olivier Lorange, La Presse