J’ai un faible pour l’alto, ce violon grand format au son velouté, l’instrument du lien entre le grave et l’aigu, à l’orchestre comme en musique de chambre. Mais j’ai aussi un faible pour les altistes. Autant que les blondes à une certaine époque, ils sont victimes de « jokes » systématiques de leurs collègues musiciens, qui les présentent comme des sous-doués ayant adopté un instrument pataud.

En vérité, ils sont non seulement résilients et doués, mais souvent curieux et pleins de ressources.

D’où l’idée de demander à quelques altistes de nous suggérer des musiques classiques à écouter pendant les Fêtes.

J’en ai profité pour prendre des nouvelles de mon ami Frédéric Lambert. Altiste du Quatuor Molinari, chargé de cours à l’UQAM et à McGill, chambriste, père de deux petites filles, il a aussi été chroniqueur radio tous les vendredis pendant de nombreuses années à mes côtés. On le retrouvera d’ailleurs dans le même créneau pendant le temps des Fêtes sur les ondes d’ICI Première avec Stéphan Bureau.

PHOTO CASADEL FILMS, FOURNIE PAR L’OSM

L’altiste Frédéric Lambert

Frédéric rentre de tournée avec ses amis de Molinari : deux semaines, quatre pays (Macédoine, Serbie, Allemagne, Grèce), huit concerts et quelques classes de maître. Rentré la veille vers 21 h, brûlé mais ravi, il enseigne le matin même.

« Comment te définis-tu, Frédéric ? Musicien pigiste et professeur ?

— Comme un gars ben occupé ! J’ai la chance de jouer d’un instrument qui permet la diversité, j’explore tout : le son d’orchestre, la musique de chambre, le solo.

— Avec un doctorat en musique et autant de travail, on finit par bien gagner sa vie ? [Question posée avec une fausse naïveté.]

— Disons que 50 000 $, c’est une grande année et c’est très rare ! Mais ma vie n’est jamais ennuyante. Acquérir une aisance sur scène, c’est long. Pour moi, c’est devenu une joie immense d’aller jouer, je ne pourrais plus imaginer faire autre chose. »

Frédéric a toujours une ou deux cases ouvertes dans sa tête pour des projets hors normes. Il était de la création des Variations fantômes, de Philippe B, on l’a vu auprès de Pierre Lapointe pour son Conte crépusculaire, avec Philémon Cimon au Cinéma L’Amour.

Mais il classe le prochain « trip » de Molinari parmi ses plus belles collaborations : un spectacle avec la chorégraphe Virginie Brunelle. Elle a choisi ses musiques dans le répertoire préféré du quatuor et construit en ce moment, avec ses neuf danseurs, une œuvre qui tire tout le jus émotionnel de la musique. Les corps avalés seront présentés dès la fin de février à Montréal, puis à Québec, à Toronto et à Saint-Jérôme, toujours avec Molinari sur scène.

Dans la tête de Frédéric Lambert, un autre projet mijote : d’ici deux ou trois ans, au début de la quarantaine, il aimerait enregistrer un disque solo. Un legs personnel à ses filles, histoire qu’elles entendent de près le son de l’instrument de papa. L’alto solo n’a pas un grand répertoire de chefs-d’œuvre. Mais, je le répète, les altistes sont curieux et débrouillards. Frédéric est un passionné de cinéma : Nino Rota, Ennio Morricone et John Williams ont eu le bon goût d’écrire de beaux solos pour l’alto. Pas mal comme piste de départ.

La playlist de Noël des altistes

« Spontanément, je pense à cette magnifique berceuse de Brahms pour voix et alto. L’une des plus belles jamais écrites pour l’instrument, avec un texte de Noël », explique Laurent Patenaude, ancien altiste, codirecteur général des Violons du Roy.

Extrait de Geistliches Wiegenlied (Berceuse spirituelle) de Brahms

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« Il y a aussi le troisième mouvement d’Harold en Italie de Berlioz, qui évoque à la fois une berceuse et la marche nocturne de rois imaginaires », ajoute-t-il.

Extrait d’Harold en Italie de Berlioz

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Anne Beaudry, altiste à I Musici de Montréal, opte pour l’incontournable Messie de Haendel, tout comme André Roy, professeur à l’Université McGill et directeur de l’Académie internationale de quatuor à cordes. Mais André choisit un air en particulier, le virtuose Rejoice Greatly.

« Je trouve cet air irrésistible. Les vocalises virtuoses autour d’un seul mot [rejoice], c’est un peu comme si on était tellement heureux qu’on n’arrivait pas à trouver les mots adéquats pour exprimer le bonheur… Une grande exaltation sans réelles syllabes, je trouve ça génial. En plus, les altos ne jouent pas ce mouvement : on est au meilleur endroit pour écouter le show ! »

Extrait de Messie de Haendel

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André Roy mentionne un autre grand classique, le Concerto pour la nuit de Noël de Corelli. « Je suis tombé en amour avec cette pièce dès la première écoute, à 10 ou 11 ans. C’était la première fois que je vivais l’expérience de séries de suspensions harmoniques de façon si intense : j’avais l’impression de voler. »

Extrait de Concerto pour la nuit de Noël de Corelli

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Isaac Chalk, alto solo aux Violons du Roy, propose les Quatre motets pour le temps de Noël de Francis Poulenc. « Cette œuvre était un classique du temps des Fêtes des Petits Chanteurs du Mont-Royal. J’ai pu la découvrir comme petit chanteur. Je me rappellerai toujours le grand défi que moi et mes camarades sopranos devions relever, chaque année : attaquer la première note d’O magnum mysterium pianissimo ! »

Extrait de Quatre motets pour le temps de Noël de Francis Poulenc

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Isaac suggère aussi la musique de Noël de Marc-Antoine Charpentier, enregistrée par l’ensemble Correspondances (offerte sur Apple Music et Spotify). « Ces courtes pièces traduisent parfaitement l’espoir et l’impatience qu’on peut associer au temps de l’avent. »

Et, finalement, Frédéric Lambert vous recommande sans hésiter les trois soirées qui réunissent l’Orchestre symphonique de Montréal et certaines des plus belles voix du Québec pour Noël, dont Marie-Nicole Lemieux, Étienne Dupuis et les Petits Chanteurs du Mont-Royal. Le spectacle est présenté mardi, mercredi et jeudi.

On se retrouve en janvier. Joyeuses Fêtes d’ici là !