(PARIS) Tout le monde s’est demandé si le concert aurait lieu, jeudi, dans Paris secoué par une forte mobilisation contre la réforme des retraites. Alors que le hall moquetté de la salle Pleyel contrastait avec le pavé foulé par les manifestants au même moment, Diane Dufresne est pourtant apparue devant les spectateurs qui avaient déjoué la grève des transports : « On a choisi exactement le 5 décembre pour vous jeter le trouble, s’est-elle amusée. Mais c’est moi qui devrais aller dans la rue pour obtenir ma retraite ! »

La pimpante septuagénaire a surtout déclaré son « amour » au public parisien, qui lui a exprimé son admiration en retour.

Invitée en clôture du festival Aurores Montréal, superbement accompagnée par l’Orchestre Lamoureux dirigé par Simon Leclerc, sur le répertoire de son nouvel album Meilleur après, elle ne s’était pas produite en France depuis cinq ans – c’était au Théâtre du Châtelet et elle pensait ne jamais revenir. Des retrouvailles triomphales, et tant pis pour ceux qui lui réclamaient de chanter ses anciens succès : « Je ne fais plus ça ! » La chanteuse veut du neuf. Comment le lui reprocher alors qu’elle est capable d’interpréter avec ardeur des chansons aussi poignantes sur des orchestrations aussi raffinées ?

Au lendemain de ce merveilleux concert, Diane Dufresne ne cessait de remercier ceux qui, privés de métro, avaient longuement marché pour la retrouver. Tout en comprenant le sentiment de colère qui anime une partie de l’opinion française : « Partout dans le monde, devant le comportement des plus riches et de certains politiciens cupides, il est normal que les gens descendent dans la rue. Quand c’est pacifique, c’est mieux. »

La colère est saine, à condition de savoir quoi en faire. Par exemple, l’astrophysicien Aurélien Barrau l’exprime avec une intelligence remarquable. Moi-même, je suis potentiellement violente, mais cette colère nourrit ma créativité.

Diane Dufresne, en entrevue

Sur scène, la diva cite le philosophe Michel Serres qui, au regard des conflits passés et à rebours du pessimisme ambiant, assure que « nous vivons des temps de paix ». « Moi aussi, je garde confiance en l’humanité quand je vois le formidable mouvement de la jeunesse derrière la petite Greta [Thunberg] », affirme Diane Dufresne en ajoutant : « Mais je ne suis ni astrophysicienne ni philosophe ; je suis chanteuse. »

Souvenirs parisiens

La chanteuse est comme chez elle à Paris, où elle a vécu et étudié au Cours Florent. C’est même dans les cabarets de la rive gauche qu’elle a connu ses premiers succès, dans les années 60. « Je faisais rire les Français alors que je faisais peur aux Québécois, dit-elle. À une époque où Monique Leyrac était une superstar avec une prononciation magnifique, académique, je parlais le langage de la rue et j’étais beaucoup moins chic, rockeuse avec les jambes écartées, penchée en avant pour cacher mon trac. »

Elle se souvient quand même d’avoir été sifflée par le public parisien quand elle chantait en première partie de Julien Clerc, à l’Olympia, en 1973. Le directeur de la salle, Bruno Coquatrix, lui avait dit : « Vous serez aimée pour les mêmes raisons que vous serez détestée. » Reste que sa relation avec le Vieux Continent n’a jamais été rompue, avec son public comme avec les compositeurs, tel le trentenaire Cyril Mokaiesh qui signe trois chansons de Meilleur après.

Sur scène comme sur disque, Diane Dufresne tire le fil du temps qui passe. Jamais effrayée par les sujets tabous, voici qu’elle se soucie de son âge – « la vieillesse », dit-elle sans prendre de gants. Elle le chante ( Mais vivreLe temps me fait la peau…) et elle s’en ouvre au public parisien, plus tout jeune non plus, sans peur ni coquetterie. N’était son corps qui change, « comme pendant l’adolescence, mais dans l’autre sens pour aller vers la mort », elle jurerait même qu’elle gagne en sérénité, en sincérité, en liberté, en créativité.

Ma vie est dans ma voix. C’est ma vie qui fait ça, ma vie qui habite le spectacle que j’ai donné hier [jeudi]. Je suis passée à côté de ma jeunesse parce que j’étais timide et que je ne me sentais pas bien ; je ne veux pas passer à côté de ma vieillesse.

Diane Dufresne, en entrevue

Au moment de quitter la scène, on la sent embarrassée – ce genre d’embarras qu’on ressent quand on ne sait pas dire adieu. « Je n’aime pas m’éterniser, confirme-t-elle. Mais s’il y avait eu des escaliers, je serais descendue dans la salle. J’aurais voulu saluer les spectateurs un par un. Je me serais assise et on aurait regardé le concert de Diane Dufresne, ensemble. » Au lieu de quoi elle a fini par interpréter Je me noue à vous à l’intention de ce même public, puis Hymne à la beauté du monde dans un ultime rappel a cappella, « pour partir sur une bonne note ».

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