Toujours aussi engagé, plus indigné que jamais, le groupe de rap marseillais IAM vient de faire paraître son 10e album, Yasuke. Les rimes animées par l’espoir racontent les convictions de ses membres, qui ont tous dépassé la cinquantaine.

Et ils ont la cinquantaine vigoureuse, les Marseillais d’IAM. Au téléphone, dès qu’on leur parle de Montréal, la conversation s’anime. Ils bifurquent assez vite vers leur amitié avec le combattant d’arts martiaux mixtes Georges St-Pierre, qu’ils ont rencontré dans la métropole et avec qui ils ont hâte de pouvoir s’entraîner de nouveau. « On ne dira pas non à une petite séance de sport », lance le sympathique Shurik’n au bout du fil.

Mais parlons musique. Les membres d’IAM ont une carrière de trois décennies, qui leur vaut ce titre de « pionniers » qu’on leur accole souvent. Des pionniers qui veulent rester à jour, musicalement parlant, sans jamais se dénaturer. Et sans forcer les choses, assure Shurik’n, qui ne veut pas parler d’« exploration », mais plutôt d’évolution naturelle.

Pour Yasuke, le groupe s’est ouvert aux productions d’autres musiciens, ce qu’il ne fait jamais. De plus, plusieurs rappeurs et chanteurs s’invitent sur les pistes (les Psy 4 de la Rime, Kalash, Skyzoo, JMK$, etc.). La direction de l’album change constamment au fil des 16 titres : « Ça part dans tous les sens », résume Shurik’n.

IAM peut ainsi se vanter d’être sur scène depuis 30 ans. Ce dont il ne se vante pas, c’est d’avoir écrit à l’époque des textes qui sont toujours d’une brûlante actualité.

Dans certains morceaux, tu changes un ou deux détails et c’est toujours d’actualité. On a été visionnaires de ce côté et ce n’est pas quelque chose qu’on souhaitait.

Shurik’n

Pour beaucoup, les membres d’IAM sont des poètes contestataires. Ce nouvel opus en témoigne une fois de plus ; ils y abordent la crise des migrants, les fausses nouvelles, les réseaux sociaux, la violence faite aux femmes. Plus introspectif à certains moments, il reste farouchement engagé. La pochette l’illustre elle-même, version 2019 du Radeau de la Méduse de Géricault.

Réfléchir

Le titre de l’album, Yasuke, est aussi un appel à la réflexion, nous explique le beatmaker Imhotep. Yasuke était un esclave africain, amené de force du Mozambique jusqu’au Japon, au XVIe siècle. Là-bas, d’après la légende, il s’est défait de ses chaînes et est devenu samouraï. « Même si, dans nos chansons, on pointe les choses qui ne vont pas, on fait aussi de la lumière sur ce qui est possible », dit-il.

En fait, tout est possible, renchérit Imhotep. « Yasuke en est l’exemple, ajoute-t-il. Il a pu échapper à sa condition, dépasser les limites de ce qui lui a été imposé. »

Cette parabole illustre aussi ce que représente IAM, croit le groupe. « On est la preuve [que tout est possible], affirme Shurik’n. On n’était pas désignés à la carrière qu’on a. » 

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IAM a commencé à faire du rap à Marseille à la fin des années 80. À l’aube des années 90, ce fut le début du succès (en même temps que celui de NTM ou de MC Solaar), alors que le hip-hop était bien loin d’avoir la même cote en France qu’aux États-Unis.

S’isoler

Le groupe s’est isolé à Marrakech, au Maroc, pour plancher sur l’album. C’est là que les chansons ont vraiment pris forme. « Ç’a été possible parce qu’on s’est éloignés, dit Shurik’n. Le processus créatif est très égoïste et nécessite de se retirer de la vie normale. »

Les membres d’IAM ont maintenant des familles, un quotidien plus stable, dont ils doivent se séparer quand ils décident de se consacrer à la création. Ils n’ont pas souvent pris ce recul, cette étape se déroulant habituellement chez eux, à Marseille.

Mais la séparation a été bénéfique. L’effervescence émanant de ce huis clos – « on vivait ensemble, on dormait ensemble, on était enfermés, on discutait sans cesse [de l’album] » – a donné « de très bonnes choses », estime Shurik’n.

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Leurs textes couchés sur papier et mis en bouche, ils n’avaient plus qu’à les enregistrer. Ce qu’ils ont fait… en Thaïlande. « On a toujours aimé bouger, lance Shurik’n. On avait découvert ce studio en travaillant à l’album précédent et on a voulu y retourner. » L’album a finalement été mixé à New York, que le groupe visite souvent depuis ses débuts.

Collaborer

Le quintette à l’accent chantant du sud de la France n’arrêtera pas les voyages de sitôt, on le comprend. Il sera d’ailleurs à Montréal en avril prochain pour une série de concerts avec l’Orchestre symphonique de Montréal (dirigé par Dina Gilbert avec les arrangements de Blair Thomson). Il présentera à la Maison symphonique son mythique album de 1997 L’école du micro d’argent (sans se gêner pour glisser quelques-unes des ses nouvelles chansons dans sa setlist).

Ce n’est pas la première fois qu’IAM joint ses forces à celles d’un ensemble classique, rappelle Akhenaton. 

Ce qu’on fait est très minimaliste et musical. Ça laisse place à l’interprétation et aux arrangements.

Shurik’n

De plus en plus, les musiciens classiques « comprennent » et « apprécient » la musique populaire et la musique hip-hop, observe le groupe. 

« C’est toujours un plaisir de jouer avec des gens qui ont ce genre de double culture, dit le rappeur. On a beaucoup d’atomes crochus. Nous aussi, de notre côté, on s’intéresse à la musique classique. Tout est une question d’émotions. »

L’émotion sera assurément au rendez-vous à Montréal, qui accueille toujours IAM avec un enthousiasme débordant. Les billets pour les deux premiers concerts se sont vendus en moins d’une heure, si bien que l’OSM a ajouté une représentation, qui sera elle aussi donnée à guichets fermés.

À la Maison symphonique de Montréal les 7, 8 et 9 avril 2020, dans le cadre de la série OSM Pop (à guichets fermés)

PHOTO FOURNIE PAR UNIVERSAL MUSIC

Yasuke, d’IAM

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