(Paris) Quatre ans après l’attaque sanglante qui a fait 90 morts et des dizaines de blessés graves à l’intérieur de ses murs, la (tristement) célèbre salle de spectacle parisienne adopte une nouvelle identité visuelle et un nouveau « projet artistique » axé sur la pluridisciplinarité, qui lui permettra de retrouver son attractivité.

Les concerts resteront au cœur de sa programmation. D’ailleurs, l’ancien leader du groupe Téléphone, Jean-Louis Aubert, s’y produira huit jours en novembre. Mais on y ajoutera désormais de l’humour, des conférences, des expos, de la danse, du cinéma, de la mode et même des soirées de boxe thaïlandaise. Bonjour l’éclectisme.

Rencontrée dans un café proche de la salle, qui change aussi son logo et son enseigne, la nouvelle directrice, Florence Jeux, ne cache pas que l’opération vise à redynamiser les lieux, qui conservent des séquelles des attentats meurtriers du 13 novembre 2015.

Selon elle, l’endroit était arrivé « au bout d’un processus » et avait « effectivement besoin d’un nouveau souffle, d’un nouveau regard et d’être porté différemment aux yeux des gens ».

PHOTO MIGUEL MEDINA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Parmi les 130 victimes des attentats meurtriers du 13 novembre 2015, 90 ont péri au Bataclan. Deux semaines plus tard, la salle de spectacle était inondée de fleurs et toujours voilé par des bâches interdisant l’accès.

Il faut savoir que même si le Bataclan a rouvert ses portes un an après la tuerie, la salle n’a jamais complètement retrouvé son rythme de croisière. Si le public est vite revenu, ce n’est pas le cas des artistes, qui ont été nombreux à refuser de s’y produire. Parmi ceux-ci, Francis Cabrel, Nicolas Sirkis (Indochine) ou Radio Elvis.

Cette résistance aurait entraîné une baisse d’activité de 30 % en 2017 et 2018. Le Bataclan a néanmoins pu survivre grâce au soutien financier de son propriétaire, le groupe Lagardère, géant mondial de la « distribution de contenus ».

Nouvelle étape

Pour Florence Jeux, tout le défi était de « passer à une nouvelle étape pour continuer à faire vivre le lieu ».

En diversifiant ses activités, le Bataclan non seulement revient sur sa propre histoire (fondée en 1860, la salle a fait office de théâtre, de cinéma et de cabaret avant de se consacrer pleinement à la musique), mais se projette dans l’avenir avec une nouvelle identité qui, espère-t-elle, reléguera les mauvais souvenirs à l’arrière-plan.

« L’idée n’est pas d’oublier », dit celle qui était auparavant programmatrice des Francofolies de La Rochelle.

Mon défi est de convaincre les artistes de revenir et c’est pour ça que le changement d’activités va faire en sorte que, petit à petit, les gens vont ravoir une image plus positive de la salle.

Florence Jeux, nouvelle directrice du Bataclan

Cela ne se fera pas du jour au lendemain, elle en convient. Il y aura beaucoup de « pédagogie à faire ». Mais elle ose croire que cette nouvelle identité permettra de créer un « terreau favorable » pour le retour des artistes.

« Ce que j’ai appris, c’est qu’on ne peut pas convaincre par les arguments. Les gens sont trop touchés inconsciemment, émotionnellement. » La résilience du lieu, dit-elle, « doit passer par autre chose ».

Des doutes

Cette mutation suffira-t-elle ? C’est toute la question.

Quoi qu’on en dise, le Bataclan reste profondément marqué par cette nuit macabre, où des terroristes djihadistes ont pris les lieux en otage, pendant un spectacle des Eagles of Death Metal. Coincés comme des rats, les spectateurs ont été exécutés de sang-froid à coups de kalachnikov, tandis que d’autres commandos terroristes semaient la mort sur les terrasses parisiennes et au Stade de France. Bilan des attaques : 129 morts et 350 blessés, dont la majorité au Bataclan, transformé en tombeau.

PHOTO BORIS ALLIN, ARCHIVES UNIVERSAL MUSIC FRANCE/ASSOCIATED PRESS

Sting a eu la lourde tâche d’assurer le concert de réouverture du Bataclan, un an après les attentats.

Entièrement rénovée, la salle a rouvert un an plus tard, avec un concert de Sting. Mais il semble que dans l’air subsiste un étrange parfum. Impossible, en tout cas, de ne pas imaginer la scène et de ne pas avoir un frisson quand on y met les pieds.

Pour l’historien Denis Peschanski, qui étudie la mémoire du 13 novembre, il est évident que la salle reste désormais associée aux attentats.

« Année après année, quand on demande aux Français quels sont les lieux du 13 novembre, on s’aperçoit que les références aux terrasses et au Stade de France s’écroulent », explique le chercheur au CNRS.

Il y a une concentration sur le Bataclan, qui est devenu un marqueur majeur de la mémoire collective des attentats en France.

Denis Peschanski, historien

Déduire, par là, que la page ne sera jamais complètement tournée. Et ce, pour une raison simple : le mot « Bataclan » a changé de statut.

« Il y a une totale disproportion entre ceux qui connaissent le Bataclan comme salle de spectacle et le nombre de personnes qui connaissent le Bataclan depuis les attentats », explique l’expert.

Résister

On peut s’étonner, du reste, que la salle ait pu rouvrir, tout simplement. D’autres, en effet, auraient mis la clé sous la porte.

Mais pour Denis Peschanski, cela relève tout simplement de l’acte de résistance. « Oui, c’est un lieu de souffrance et de combat, mais une des questions qui étaient en jeu, c’était : est-ce qu’ils [les terroristes] vont gagner ? En faire autre chose ? Ça ne veut rien dire.

« Vrai que, pour un certain nombre de personnes, refaire la salle à l’identique a pu poser problème. Je sais qu’il y a des victimes qui supportent mal l’idée même qu’on puisse encore faire quelque chose au Bataclan. Mais j’entends aussi tous ceux qui disent : notre combat, c’est de ne pas céder au terrorisme. Sinon quoi ? On ferme aussi les terrasses, les restaurants, le Stade de France ?

« La vraie logique, c’est de savoir si on est dans une posture de défense de la démocratie ou si on accepte de céder. Si on part du principe que ce qui a été attaqué, c’était le cœur même des valeurs qui font la France depuis la révolution et la résistance, eh bien, on résiste. Voilà… »