Il est 20 h 45. Les lumières s’éteignent, et la chanson These Boots Are Made for Walkin’ débute. La drag queen montréalaise Denim Pussy monte sur scène pour un court et sexy numéro de lip sync, sous les sifflements et les cris de la foule. Ce soir, au MTELUS, on va célébrer la « queerness ».

Un quart d’heure plus tard, c’est King Princess qui fait son apparition sur scène. Sur une introduction à la Queen, tout en théâtralité, elle débarque dans un court débardeur rouge, un pantalon blanc surmonté de suspensoirs noirs — qu’elle appellera plus tard sa « couche » en demandant à un technicien de la lui enlever.

Elle passe à travers un faux miroir derrière lequel se dresse une grande peinture représentant une forêt, dans un cadre doré. Au centre, les mots Cheap Queen. Le titre du premier album de King Princess, paru la semaine dernière sous l’étiquette de Mark Ronson, Zelig (un album ravissant, par ailleurs). Cheap Queen, qui est un terme dans le monde drag qui désigne une « queen » pleine de ressources, qui peut en faire beaucoup avec peu.

King Princess, Mikaela Strauss pour les intimes, est la reine queer d’une nouvelle pop sans complexe et fière. Une pop qu’elle qualifie elle-même de « très gaie ». Un drapeau arc-en-ciel est déposé sur la grosse caisse du batteur. Ici, on célèbre l’identité queer. Si une des premières parties de ce concert était une drag queen, c’est que King Princess est considérée par beaucoup de ses admirateurs comme la « lesbian Jesus » (c’est comme ça qu’ils l’appellent). Emblème moderne de la fierté gaie, elle fait de ses spectacles des moments où tous peuvent affirmer très fort qui ils sont, elle la première.

« J’avais le cœur brisé », dira la jeune femme de 20 ans en milieu de spectacle, à propos du moment où elle a créé son nouvel album. 

J’ai fait des chansons pour les gais. Toute ma tristesse devient des chansons pour les gais.

King Princess

La chanteuse se dirige vers son piano et interprète Isabel’s Moment. Puis, la décadente Tough On Myself résonne. La charismatique New-Yorkaise, maintenant derrière son micro, au milieu de la scène, se plaît à montrer qu’elle a du coffre. Ses musiciens, en combinaison blanche, donnent le rythme de la lente et sensuelle chanson. De son côté, King Princess ondule voluptueusement… avant d’attraper sa guitare électrique pour terminer la chanson à la manière d’une star du rock.

Les premiers titres s’enchaînent, la plupart issus de cet album tout juste sorti qu’elle n’hésitera pas à vanter au long de la soirée. La chanson Prophet suit. La voix aérienne, les guitares sourdes, les lumières bleues changent complètement l’ambiance. Personne n’osera débattre sur le fait que King Princess fait de la pop. Mais elle arrive sans difficulté à naviguer entre les sons pop rétro et des essais plus expérimentaux, tout en flirtant parfois avec l’indie et la pop-rock. La diversité des styles empêche le spectacle de devenir ennuyant ne serait-ce qu’une seconde.

Le défaut des enregistrements

La chanteuse aux courtes bouclettes n’a aucune difficulté à aller chercher les notes hautes de ses chansons. Elle les bonifie même d’inflexions remplies d’une intonation soul et rocailleuse.

Elle passe du piano aux solos guitare électrique sans effort. En fait, elle semble tout faire sans effort. Mikaela a sur scène une aisance décontractée qui crie la confiance en soi.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

« Welcome to the Cheap Queen tour, bitch », dit-elle finalement à la foule, bière à la main, après quelques chansons. Elle entonne alors la chanson titre de son album, de sa tournée. La chanteuse était à Montréal il n’y a pas si longtemps, puisque Osheaga l’avait accueillie sur une de ses grandes scènes en août dernier. Cette fois, par contre, King Princess est de retour en ville avec un tout nouvel album à défendre.

Durant Cheap Queen, et à quelques reprises ensuite, les enregistrements engloutissent un peu sa voix. Ses musiciens (une claviériste, un bassiste, un guitariste et un batteur) ne chantent pas, mais en allant chercher le support d’un enregistrement pour l’accompagner sur ses refrains, ça sonne évidemment moins naturel.

« More pussy for the people », exige King Princess avant la superbement déjantée Pussy Is God. King Princess est la définition même de la fierté décomplexée. L’acceptation et la fierté sont ses hymnes. Elle les chante et les scande. Le public est en liesse.

Magnétique et solide

« Mon album est sorti. L’aimez-vous ? Il est excellent. »

Ain’t Together débute. Et, guitare autour du cou, King Princess, sans faire d’effort, est la plus cool du MTELUS. Surtout, elle est solide, vocalement et dans ses interventions à la guitare électrique. La ballade est une de ses très belles pièces. Un hymne à l’amour moderne, où il est question de « chiller » et de « labels ».

King Princess amène les chansons d’amour là où on les voit encore rarement. Soit complètement dans la modernité, avec les références actuelles, les codes de la jeunesse d’aujourd’hui.

On enchaîne alors sur d’autres ballades (sa spécialité, à notre humble avis) avec Took A Minute et Watching My Phone (qui évoluera en un superbe moment de rock langoureux).

Puis, Talia, le « fucking banger » qui a aidé à la faire connaître, fait finalement franchement danser et chanter la foule. « If I drink enough/I can taste your lipstick, I can lay down next to you/But it’s all in my head/If I drink enough I swear that I will wake up next to you », chante-t-elle.

Ce n’est même pas la plus gracieuse sur scène, mais elle est magnétique. Les quelques marches au fond de la scène menant au faux miroir d’où elle est apparue lui servent d’accessoire, de piédestal et d’endroit où se coucher ou s’agenouiller pour lascivement danser au sol.

L’entraînante Trust Nobody donne l’occasion aux musiciens de se déchaîner. Puis, retour à la douceur avec Homegirl. Une chanson adressée à celle qui regarde encore les garçons, celle qui ne veut être qu’amie en public et plus dans l’intimité. Lente et mélodieuse, la très jolie chanson d’amour permet à King Princess de montrer un autre aspect de sa voix lorsqu’elle la fait douce et soutenue.

On retourne plus tard dans les « vieilles » chansons. Celles de son premier EP, Make My Bed, sorti l’an dernier. Cette mini-collection de titres l’a fait connaître et depuis, King Princess ne s’arrête plus.

C’est alors le moment de 1950. Celle dont les paroles ont été tweetées par Harry Styles, la rendant mégapopulaire en un clic. Un bafouillage au premier refrain (un enregistrement lancé au mauvais moment) n’empêche pas l’interprétation d’être réussie. Et appréciée du public.

En un petit peu plus d’une heure, toutefois, c’est déjà presque fini. Le rappel mène à If You Think It’s Love, propulsée au vocodeur. C’est beau et doux. Et ça laisse la place à encore plus de beau, quand commence Ohio, une autre ballade pour laquelle la guitare électrique suffit… avant de devenir un moment musical explosif.

C’est alors vraiment la fin. Ce n’était pas parfait. Mais ce n’était que le deuxième concert de la tournée. Et c’était, à tout le moins, extrêmement prometteur. Pas seulement pour une suite de tournée réussie, mais aussi pour une carrière qui devrait continuer de s’épanouir.