(Paris) Cela fait 30 ans que Philippe Djian signe les textes en français de Stephan Eicher, comme sur le nouvel album du Suisse Homeless Songs sorti ce vendredi. Une complicité avec ses « hauts » et ses « bas » qu’ils racontent à l’AFP dans un inédit entretien croisé.

Dans un luxueux hôtel parisien, l’interprète de Déjeuner en paix, 59 ans, compose le numéro du romancier, 70 ans, qui est chez lui au Pays basque puis pose le téléphone sur la table, haut-parleur ouvert. La discussion peut démarrer entre les deux hommes, amis depuis une émission de télévision commune à la fin des années 80, qui se donnent du « mon chéri » avant de se chamailler gentiment sur l’importance respective du texte ou de la musique.

Philippe Djian : « Trente ans ? Il ne faut pas le dire, les gens vont croire qu’on est dans un hospice de vieillards. Disons plutôt quelques années… »

Stephan Eicher : « Je crois qu’il n’y a personne d’autre avec qui j’ai travaillé pendant 30 ans. Avec Philippe, on a survécu à plein de choses. Pour ce nouvel album, certaines chansons existaient depuis un certain moment, sans avoir trouvé de place sur un album qu’une maison de disque ou une radio pouvait demander. J’ai rassemblé cette collection de chansons un peu perdues, peut-être boiteuses. […] Il y a des chansons qui prennent du temps, comme Rivière, sur l’album Carcassonne, qui avait pris cinq ans. Et puis d’autres qui s’écrivent plus vite. Déjeuner en paix, ça m’a pris quatre minutes ! »

Philippe Djian : « Ce qui est étrange pour moi quand sort un album, c’est que comme Stephan ne jette rien, je me retrouve avec un patchwork, je ne me souviens plus quand j’ai écrit telle ou telle chanson… »

Stephan Eicher : « Sur mon piano, j’ai un classeur avec 40 ou 50 textes pas encore aboutis… »

Philippe Djian : « Moi ce que je connais beaucoup mieux que les albums qu’on a pu sortir ensemble, ce sont les trucs qu’il m’envoie, tout seul à la guitare, quand il commence à mettre une première mélodie sur un texte… Je pense qu’il n’y a que moi et deux ou trois personnes qui entendent ce morceau comme ça, brut. Et je dois dire que ce plaisir-là, il n’est jamais dépassé ensuite par celui lié à l’album. »

« Le public doit la finir »

Stephan Eicher : « Le rêve pour moi, c’est que, à un moment, la chanson devienne indépendante de moi et de Philippe. C’est le public qui doit la finir. Je me souviens une fois que je jouais au Paleo Festival (en Suisse, NDLR), Philippe était invité dans le public et j’essayais de le regarder pour voir sa réaction sur Des hauts, des bas quand 30 000 personnes reprenaient “J’ai même eu ce que je ne voulais PAS !”. »

Philippe Djian : « Quand toute une foule reprend ça, à côté de vous, je peux vous garantir que les poils des bras se hérissent. Pas parce qu’on se dit que ce que j’ai écrit est génial, mais parce que c’est incroyable qu’ils s’approprient des mots qui désormais leur appartiennent ».

Stephan Eicher : « Beaucoup de gens me demandent : j’ai un texte, tu ne veux pas le chanter ? Avec plaisir… Mais je trouve beaucoup plus intéressant de garder notre histoire. Qu’on devienne presque une seule personne : Philippe Eicher ou Stephan Djian ! La preuve, c’est la chanson Prisonnière (sur son nouvel album, NDLR). Il a fallu 30 ans pour s’échauffer pour arriver à ce texte qui est pour moi une merveille. Rien que pour ça, les 30 ans valent la peine, j’espère que ce n’est pas la fin de la route… »

Philippe Djian : « Moi non plus ! J’ai vraiment l’impression que plus ça va, plus on agrandit un univers. Prisonnière est un bon exemple. Stephan m’ouvre sur de nouveaux textes, de nouvelles façons de s’exprimer. Je n’aurais pas pu écrire pour un autre chanteur. Il s’est trouvé que je suis tombé sur un type qui sait écrire des chansons, qui fait de la scène de manière assez incroyable, je ne pouvais tomber mieux ! »