La comédienne Evelyne Brochu fait paraître aujourd’hui un premier album, Objets perdus, écrit et composé par son ami Félix Dyotte. Elle sera par ailleurs, ce soir et demain, du spectacle d’ouverture du Festival international de la littérature (FIL), Nelly & Sylvia, incarnant l’autrice Nelly Arcan dans une discussion fantasmée avec Sylvia Plath. À compter du 30 septembre, elle sera l’une des têtes d’affiche de la troisième et dernière saison de Trop, diffusée sur Tou.tv. Rencontre avec la comédienne et chanteuse.

J’ai trouvé ton album charmant. Il est à la fois très frais et hors du temps autant rétro qu’actuel. Ça m’a fait penser à du Charlotte Gainsbourg et aussi, par moments, à du Mylène Farmer…

Oui, des fois, il y a un peu d’un son eighties. Seventies aussi ! C’est un mélange de plein d’époques.

Félix Dyotte est un ami de longue date…

Depuis qu’on a 19 ans ! On s’est rencontrés au cégep de Saint-Laurent. Ça a été presque une révélation. Il y a des professeurs qui peuvent changer le cours d’une vie. Félix a un peu changé le cours de ma vie lui aussi. Il y a des amis comme ça qui sont des sortes de révélateurs. C’est comme s’il m’avait appris à être une artiste. On a appris à être des artistes côte à côte. À un âge où tu es encore un peu en train de modeler qui tu vas être, qui tu vas devenir. Et puis, il était une ressource infinie de plaisirs artistiques, autant musicaux que littéraires. Il commençait à s’intéresser aussi à la peinture, aux arts visuels.

Vous viviez une forme d’émulation entre jeunes artistes…

Oui. Le cégep de Saint-Laurent, c’était en soi un incubateur. Dans mon année, il y avait Magalie [Lépine-Blondeau] et Emmanuel Schwartz. C’est un âge où tu es en pleine ébullition, tu absorbes tout et tu reçois tout comme un feu d’artifice. On faisait de la musique ensemble. Je ne pouvais pas imaginer qu’on semait les germes d’une affaire qui allait fleurir à ce point-là.

C’est Félix qui a dit : « J’ai envie de te faire un album » ou ça faisait longtemps que vous aviez ce projet commun ?

J’ai toujours un peu chanté sur ses albums. Je faisais des « woo-hoo » sur des tounes de Chinatown ! J’ai fait des petites collaborations avec lui, il revenait toujours vers moi. Parfois, on collaborait aussi pour écrire des petits bouts de chansons. Je faisais ça pour le plaisir, pour mon ami. Mais il m’a ouvert une porte sur une vie parallèle, irrésistible. Alors j’ai dit : « OK, je traverse de l’autre bord ! »

En devenant ton propre alter ego…

C’est ça, exactement. Avec lui, j’ai le courage de le faire. Parce que tant qu’à faire quelque chose de complètement vertigineux, aussi bien de le faire avec quelqu’un en qui j’ai confiance. Il m’a toujours rendue libre et courageuse. Il a toujours été cette force-là dans ma vie. Avec lui, je suis capable d’avoir cette audace-là.

Il y a beaucoup de chansons d’amour sur l’album, déclinées de toutes sortes de façons. C’est vraiment le thème central.

Oui, absolument. Des chansons d’amour pas trop mélancoliques. Souvent, on parle d’amour perdu, mais là, ce sont des amours heureux, même si ce sont parfois des amours de passage. Il y en a une, Sept jours exactement, que j’ai écrite à propos de mon chum. J’étais en train de tourner à Budapest et je devais le rejoindre dans « sept jours exactement ».

C’est sans doute un cliché de le dire, mais l’ensemble me semble cinématographique. Il y a des influences de musiques de film…

Ouais, c’est vrai. Il y a beaucoup de cordes. Il y a quelque chose de visuel dans ce qui émerge de ces ambiances-là.

Et quelque chose de très franco-français !

Oui, bien sûr !

C’est complètement assumé ?

Oui, on assume ça… Ces mots-là, pour moi, c’est comme ça qu’il faut les chanter ! Parfois, la forme n’est pas anticipée. Elle devient ce qu’elle devient, naturellement. Je dirais que ce n’est pas un choix, c’est juste que les mots sonnent bien comme ça.

Ce n’est donc pas l’idée de faire un succès français ?

Ah non ! Il n’y a pas de calcul ! J’ai dit à Félix : « Quand on va faire le show, ça prend, vraiment, une belle toune québécoise. » On a passé une soirée au complet à écouter des mégasuccès québécois qui nous bouleversent : du Gerry Boulet, du Richard Desjardins, et puis, on l’a trouvée. Je ne te dis pas c’est laquelle, mais il va y en avoir une… On est québécois, on ne va pas se le cacher. Comme actrice, je me rends compte que la langue est le soutien d’un propos et qu’elle peut se moduler au gré des envies. Parfois, il y a des choses plus poétiques qu’on a envie d’énoncer différemment. Pour moi, les textes de Félix sonnent bien comme ça.

Et la scène, tu y prends autant de plaisir en chanson qu’au théâtre ? Est-ce que c’est un autre volet de cette aventure que tu anticipes avec bonheur ou appréhension ?

Avec bonheur ! Nous, les acteurs, c’est rare que ce soit notre « gig ». On a notre mot à dire, on a une grande part de créativité, mais ce n’est pas notre « gig ». On s’inscrit toujours dans quelque chose : dans un texte, dans une vision qui n’était peut-être pas celle qu’on avait au départ. Il y a un côté qui est magnifique là-dedans. Tu te surprends toi-même à suivre une direction, à suivre la rivière qui t’est imposée, à la limite. Mais, parfois, pour revenir à la métaphore aquatique, être le chef du bateau est très excitant. Je peux être plus personnelle, je peux faire des choix qui me ressemblent totalement, avec le risque et le vertige que ça impose. Mais c’est le fun, le vertige, en art. À un moment donné, c’est ça qu’on recherche aussi ! La différence avec le théâtre, c’est qu’il y a quand même un côté un peu plus lousse en musique. Tu peux jazzer, tu peux jaser, tu peux t’excuser, tu peux recommencer. Je pense à Patti Smith. C’est ça qu’on aime d’elle : c’est lousse et imparfait. Au théâtre, parfois, il faut le trouver à l’intérieur, le chaos. Le monde sent si tu es engagé ou si tu es comme dans un bobsleigh, bien safe. Je trouve qu’il y a quelque chose d’excitant de pouvoir se permettre cette liberté.

L’improvisation s’impose…

Exactement. Ça peut être vertigineux, mais il faut le transformer en excitation. Au théâtre, tu as un partenaire de jeu qui te donne quelque chose, et qui te fait réagir. Dans la musique, tu as tous les musiciens, le drum qui te pulse, qui te change ton rythme cardiaque. L’émotion, elle est ambiante, elle est complètement physique. Toutes tes cellules baignent dedans, il y a quelque chose qui te soulève. Le théâtre ou la télé n’arrivera jamais à ça.

C’était inévitable que tu arrives un jour à la chanson ?

Ah, je ne le sais pas ! Je pense que n’eût été Félix et ce flash-là… J’avais besoin de cet élan. C’est comme les sauts en parachute. Pour le premier, tu as besoin d’un pro qui est attaché à toi et qui saute à ta place ! Il y a aussi Philippe Brault qui a travaillé avec nous. Tant qu’à faire un saut, j’aime aussi bien être avec les meilleurs !

On mise beaucoup sur ta sensualité, pas seulement dans les textes, mais dans l’esthétique de l’album, les vidéos…

On voulait quelque chose de proche, de tendre. Je pense qu’on a besoin de ça, ces temps-ci, de tendresse. Il y a quelque chose de chuchoté. Mais ça aussi, ce n’est pas vraiment un choix. Dans le sens que dans l’absolu, ça aurait pu finir par donner un album où tu m’aurais dit : « On sent du PJ Harvey ». J’aurais été bien fière aussi. Je voudrais être PJ Harvey, mais je suis une hippie ! [rires]