(Vienne) Andreas Gabalier chante en dialecte, porte une culotte de peau et clame son amour des montagnes : la plus grande star autrichienne aime célébrer sa patrie et « les valeurs traditionnelles » tout en se défendant de rouler pour l’extrême droite.

Alors que la campagne électorale bat son plein pour les législatives anticipées du 29 septembre, Andreas Gabalier, 34 ans, muscles saillants et cheveux noirs gominés en arrière, nie « faire de la politique ». Mais il admet volontiers vouloir véhiculer des messages sortant du « politiquement correct ».

« Dans le milieu artistique et en particulier à Vienne, je suis souvent un sujet de discussion pour certains groupes de journalistes », explique-t-il à l’AFP. « Je pense que c’est parce qu’il y a aujourd’hui des citadins qui ne connaissent pas mes valeurs et ne les comprennent pas. »

Elvis en culotte de peau

Sur fond de guitare électrique et d’accordéon, le phénomène Andreas Gabalier joue depuis dix ans, lors de concerts à guichets fermés, sur cette opposition entre campagne idéalisée, où la vie s’écoule sereinement, et villes mondialisées.

L’Elvis des Alpes est l’auteur de trois albums classés dans le Top 10 des meilleures ventes de l’histoire musicale de l’Autriche. La vidéo de l’un de ses clips a recueilli quelque 140 millions de vues sur YouTube, dans un pays de 8,8 millions d’habitants.

Il a été le premier artiste autrichien à remplir, fin août, les 50 000 places du plus grand stade de Vienne. Sur scène, une déferlante d’effets rouge-blanc-rouge, les couleurs de l’Autriche ; dans la salle, un public fervent, de tous âges, souvent vêtu, pour l’occasion, de tenues traditionnelles, a constaté l’AFP.

« Il représente bien le pays et je veux que l’on continue de transmettre nos valeurs », explique Laura Bentel, une spectatrice habillée en Dirndl, une robe inspirée des tenues paysannes au corsage blanc.

S’il électrise les foules, Andreas Gabalier divise aussi la société autrichienne. Lors de ses prises de parole, il vante régulièrement le retour de la femme au foyer. Des associations lui attribuent des propos homophobes.

Le directeur de la prestigieuse salle de concert Konzerthaus de Vienne refuse de le programmer. Aux victoires autrichiennes de la musique, une artiste a refusé d’apparaître à ses côtés.

Le parti d’extrême droite FPÖ, au contraire, prend sa défense de manière systématique, satisfait de pouvoir compter sur un relai puissant dans le monde de la culture.

Andreas Gabalier se garde bien de lui rendre la politesse. Il a laissé une fois entendre sur les réseaux sociaux qu’il soutenait le FPÖ, avant de très vite retirer son message et de démentir toute proximité.

Cette formation a gouverné pendant 18 mois avec les conservateurs du chancelier Sebastian Kurz, dont la coalition a éclaté en mai. Le FPÖ espère revenir au pouvoir à la faveur du scrutin du 29 septembre. Il est crédité de 20 % des intentions de vote.

Pour Michael Fischer, spécialiste des musiques populaires à l’Université de Fribourg en Allemagne, Andreas Gabalier « utilise le même vocabulaire que les populistes de droite et se comporte comme eux. Il dit quelque chose de scandaleux puis s’en distancie ».

« Il ne dit pas pour qui il vote, mais tout le monde comprend qu’il accompagne musicalement l’extrême droite en Autriche », dénonce le rappeur autrichien Kid Pex.

Croix de fer et croix gammée

En janvier, le grand tabloïd allemand Bild a fait référence à la pochette du premier album de la star (2011), sur laquelle sa pose, de profil, reproduirait les contours d’une croix gammée, assurent ses détracteurs.

Dans l’une de ses chansons, il évoque aussi une « croix de fer surplombant un sommet », pouvant entretenir la confusion avec une décoration militaire nazie, également appelée croix de fer.

Sommé de s’expliquer sur ces troublantes évocations, le chanteur se dépeint systématiquement comme la victime d’une élite condescendante, « interdisant aux hommes hétérosexuels de s’exprimer ».

Les polémiques à répétition ne l’ont pas empêché d’enregistrer des duos avec Arnold Schwarzenegger et la célèbre soprano russe Anna Netrebko.

Le « Schlager », la déclinaison germanophone de la variété, mélangée à du rock, est grâce à lui redevenu tendance.

S’il déconcerte les critiques musicaux, le phénomène Gabalier serait « définitivement moderne » pour Michael Fischer, car « il intègre les valeurs conservatrices au cœur de la pop culture et du rock, perçus auparavant comme étant progressistes. »