Bien avant qu’il ne devienne professeur de philo, Jérémie McEwen a découvert le hip-hop. Depuis quelques années, il marie ses deux champs d’intérêt : au cégep Montmorency, il donne maintenant le cours « Philosophie du hip-hop ». Et il a rassemblé ses réflexions sur le sujet dans un livre au même intitulé, paru cette semaine. Entretien. 

Parlez-moi de votre rencontre avec le hip-hop.

Le rap a pris une grande place dans ma vie quand mon ami [le rappeur] Jeune Chilly Chill m’a demandé de l’accompagner sur scène, en tant que hype man. Puis, j’ai commencé à écrire des verses [au sein du groupe Nul si découvert]. On a sorti deux albums. C’était le fun, mais j’étais conscient que je n’avais pas grand talent ! Alors j’ai bifurqué vers la réflexion autour du hip-hop.

Justement, comment en êtes-vous arrivé à donner un cours sur le hip-hop ?

D’abord parce que je voulais me renouveler dans ma job [de professeur de philosophie]. Et j’ai remarqué qu’on trouve une réflexion sur le hip-hop aux États-Unis, en France, mais qu’au Québec, les « hip-hop studies », ça n’existe pas vraiment. J’avais le champ libre, particulièrement en ce qui concernait la philosophie. Ça me ressemble vraiment : le plaisir à écouter Ready to Die de Biggie Smalls et, en même temps, de réfléchir à ce qu’il est en train de dire. 

Quel est l’intérêt de cette réflexion philosophique sur le hip-hop ?

J’ai voulu créer un pont entre ces deux choses en apparence distinctes. Et descendre la philo de son piédestal. Elle existe dans la culture d’aujourd’hui. Ce n’est pas obligé d’être quelque chose de poussiéreux, de plate.

D’ailleurs, dans le livre, vous faites ressortir des réflexions philosophiques que vous trouvez dans le hip-hop.

Pour moi, les artistes hip-hop sont philosophes. Si on prend Lauryn Hill, il ne faut pas chercher longtemps pour trouver des idées philosophiques. Je fais des rapprochements avec Platon parce que je les trouve pertinents et réels. Mais elle-même est philosophe. Les vieux Européens à barbe blanche ne sont pas les seuls à pouvoir être qualifiés de philosophes.

À qui s’adresse ce livre ?

D’abord, aux fans de hip-hop. […] Je me suis aussi rendu compte de l’occasion d’aller chercher plusieurs générations. Je peux intéresser les gens au hip-hop qu’écoutent leurs enfants, leurs petits-enfants.

Vous vous intéressez surtout à la naissance du mouvement hip-hop, à son premier âge d’or. Avez-vous l’intention de pousser ces réflexions dans le contexte contemporain du hip-hop ? 

Absolument. L’idée qui me trotte en tête, d’abord, c’est de parler de Kanye West. Il voulait lui-même sortir un livre de philosophie. Je trouve ça fascinant. Les textes de Cardi B aussi m’intéressent. Et il y a Kendrick Lamar, bien sûr. Avec « We gon’ be alright », tu as l’impression d’écouter un prophète. Et dans le hip-hop local, le personnage de Tizzo me fascine. […] J’ai l’impression que je ne fais que commencer. On est rendus mûrs pour ça au Québec. 

Vous avez fait intervenir des artistes québécois issus des quatre champs du hip-hop dans votre livre. DJ Asma, Spicey (break), Monk.e (graffiti) et Enima (rap). Pourquoi ?

Ça a permis d’aller au-delà de l’analyse. De respecter les artistes, plutôt que de prétendre mieux savoir qu’eux ce qu’ils ont voulu dire. Les artistes hip-hop sont trop souvent décrits par les analystes comme étant moins intelligents, comme si on les prenait de haut. Leur donner la parole était important pour moi.

En allant à sa rencontre, vous ne souhaitiez pas donner d’importance au passé criminel et à la mauvaise réputation d’Enima. On vous a reproché d’avoir fait cette entrevue. Tupac et Biggie Smalls n’étaient pas des enfants de chœur non plus, pourtant on n’hésite pas à louanger leur musique. Quelle est la différence ?

Cette entrevue, je suis content de l’avoir faite. Parce que ça pose justement cette question-là, à laquelle je n’ai pas encore de réponse. Qu’est-ce qu’on fait ? On arrête d’analyser Tupac parce qu’il a été condamné pour agression sexuelle ? On ne parle plus de Dr. Dre ? Je ne veux pas minimiser le passé judiciaire d’Enima. […] Mais, chose certaine, il est important de se demander pourquoi on trouve moins problématique d’écouter du Snoop Dogg, qui a subi un procès pour meurtre.

Le hip-hop vit un renouveau au Québec. La danseuse Spicey (Alexandra Landé) dit dans votre livre qu’elle trouve dommage que la rue ne fasse plus autant partie du hip-hop. Qu’en pensez-vous ?

J’ai demandé à Tizzo, en entrevue, s’il pensait qu’on avait dépassé cette période où il n’y avait que Dead Obies et Alaclair Ensemble sur le devant de la scène. Il m’a répondu que ça commençait. Depuis, il a gagné le prix de la SOCAN. Et à Metro Metro [en mai dernier], tout le monde était présent. Tizzo, 5Sang14, MTL Lord… Qu’Alaclair soit là, c’est très bien, mais il ne peut pas y avoir juste ça.

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Philosophie du hip-hop : des origines à Lauryn Hill

Philosophie du hip-hop : des origines à Lauryn Hill

Jérémie McEwen

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